Le crime paie… et même drôlement bien !

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 21 avril 2022 à 21:30

Voilà une histoire qui fera rêver plus d’un aigrefin. C’est celle de ce qu’on appelle en France « un capitaine d’industrie et de la finance » et en Russie « un oligarque ». Ernest-Antoine Seillière, baron par son père, de Wendel par sa mère, est bien né. L’acier a coulé dans ses veines et celles de sa famille depuis le XVIIIe siècle. Il s’est transformé en or un siècle plus tard avec la révolution industrielle. Chemin de fer, métallurgie, bâtiment, armement, en France et dans le monde, la soif d’acier était insatiable, façonnant le visage des grands pays industriels et trouvant son expression paroxystique dans l’élévation de la tour Eiffel.  Lors de ce premier âge d’or de l’acier, l’ancêtre Robert de Wendel était à la manœuvre avec l’entreprise sidérurgique éponyme. Il était aussi président du terrible Comité des forges, véritable « parti des patrons », ancêtre du syndicat patronal CNPF présidé par Ernest-Antoine avant de s’appeler le Medef.  Ce comité dictait la politique industrielle et financière de la France. Dans les unités de production de Wendel régnait une loi d’airain. Les conditions de travail y étaient imposées par le rythme des machines-outils fonctionnant en continu, exigeant une présence constante des ouvriers. On y travaillait 12 heures par jour et six jours sur sept, l’Église réclamant sa part de présence humaine chaque dimanche afin d’expliquer à celles et ceux qui perdaient leur vie à la gagner que l’existence dans l’au-delà serait radieuse.  Temps de travail sans fin, salaires misérables : la sidérurgie wendelienne sera le creuset d’un Germinal de l’acier pour le monde ouvrier. À l’inverse, elle forgera la fortune de la famille. Avant même d’ouvrir les yeux à la vie, Ernest-Antoine est archi-millionnaire.  Énarque, en 1978, il prend la direction du groupe familial après être passé par les cabinets ministériels où il y établit un solide réseau. C’est aussi la grande époque de la désindustrialisation de la France organisée par les tenants du pouvoir qui veulent la voir consacrée au commerce, au tourisme et aux services. Faute d’investissements et d’ambitions technologiques, la sidérurgie faiblit, son rendement devient médiocre. Partant du principe « on privatise les bénéficies et on mutualise les pertes », l’État décide alors sa nationalisation, enrichissant un peu plus la famille Seillière-Wendel qui décide de se consacrer à la finance.  La mouche a changé d’âne et son avidité reste intacte. En mai 2007, avec une quinzaine de dirigeants et cadres de son groupe, Ernest-Antoine réalise un bénéfice net total de 315 millions d’euros… sans être imposé d’un seul centime. Pour le tribunal de Paris, ce coup de bonneteau considérable est une escroquerie, une spoliation de la nation. Le bénéfice, lié notamment à la montée en flèche de l’action de Wendel entre 2004 et 2007, a été placé « artificiellement » sous un régime de « sursis à imposition », permettant de différer « à vie » l’imposition, qui aurait dû atteindre un taux d’environ 30 %. La 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a condamné Ernest-Antoine Seillière-Wendel, commandeur de la Légion d’honneur et officier de l’ordre national du Mérite, à trois ans de prison avec sursis et à 37 500 euros d’amende, alors que la magouille a dû lui rapporter des dizaines de millions, consolidant une fortune de 185 millions d’euros.  Qui peut dire que le crime ne paie pas ?