Les archaïques…

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 2 juillet 2021 à 11:02 Mise à jour le 1er juillet 2021

Pendant très longtemps, pour réparer de la fatigue du travail et ainsi mieux reprendre le collier, les jours de repos ont été le dimanche et les fêtes religieuses. Mais ces jours sans travail n’étaient pas une rupture par rapport au quotidien. En juin 1936, après une longue grève et l’avènement du gouvernement de Front populaire unissant à l’Assemblée nationale socialistes, communistes et radicaux, deux semaines de congés payés ont été accordées aux salariés. « Notre objectif consiste à recréer le sens de la joie et celui de la dignité », expliquait Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et à l’organisation des loisirs en présentant le projet de loi des premiers congés payés. Autant qu’une conquête sociale, ce droit au temps libre et payé est donc une révolution dans les esprits et dans les corps qui fera dire à Léon Blum à la fin de cette fameuse année 1936 : « La France a désormais une autre mine et un autre air. Le sang court plus vite dans un corps rajeuni... Tout fait sentir qu’en France la condition humaine s’est relevée. » Cette liberté jusqu’ici réservée à l’élite bourgeoise, devient une réalité pour la multitude des travailleurs qui découvre que la vie peut être autre chose qu’une aliénation permanente au travail. Ils découvrent qu’ils ont gagné un droit nouveau : le droit de disposer de soi-même, de lire, respirer, partir, camper, voir la mer enfin ou, « ne rien faire »… Ce droit à l’évasion et à la reconstruction personnelle, le patronat de l’époque l’accueillera avec une profonde amertume, arguant que si l’on se « mettait à payer les gens à ne rien faire, la France était foutue ». En 1940, à l’occasion du procès de Léon Blum, le maréchal Pétain, vassal d’Hitler et père putatif des Le Pen, n’hésitera pas à dénoncer à son tour « l’esprit de jouissance » qu’incarnait selon lui cet acquis social et sociétal. S’il apparaît aujourd’hui naturel d’avoir du temps à soi aux yeux de l’immense majorité de nos concitoyens, il en reste toujours pour tenter de défaire ce qui a été construit. La pandémie a même réveillé les appétits des ennemis des congés payés. L’inénarrable Geoffroy Roux de Bézieux, patron des patrons français et dont la famille depuis Louis XV en connaît un rayon en matière d’exploitation de serfs, de journaliers puis d’ouvriers et d’employés a déclaré perfidement qu’« il faudra se poser la question des RTT et des congés payés ». Ses propos ont trouvé un écho du coté de l’Élysée et de Matignon. Ainsi l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit-elle déjà la possibilité pour l’employeur « d’imposer ou modifier les dates de prise d’une partie des congés payés, (…) des dérogations en matière de repos hebdomadaire et dominical permettant aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles actuellement en vigueur ». L’influent institut Montaigne, think tank libéral qui inspire Geoffroy Roux de Bézieux, a poussé le bouchon plus loin. Pour lui, la nécessaire et incontournable augmentation du temps de travail dont dépend aussi le taux de profit, passe par une adaptation des congés scolaires à ces objectifs. En clair, les vacances des écoliers doivent être diminuées pour être en phase avec le temps de travail augmenté des parents ! Décidément, le monde d’après souhaité et concocté par certains a furieusement des allures du monde d’avant. La question est donc posée, qui s’opposera à ces desseins archaïques et aliénants ?