On peut ne pas attendre…

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 23 mars 2021 à 11:03

Par les temps qui courent, lorsqu’une bonne nouvelle s’annonce, elle fait l’effet d’une perle au milieu d’un champ ostréicole. Cette perle nous vient d’Angleterre. Uber, le géant de la réservation de voiture avec chauffeur, a dû octroyer aux « auto-entrepreneurs » qu’il exploite sans vergogne le statut de travailleurs salariés, avec salaire minimum, assurances sociales et congés payés. C’est une première mondiale, quasi une révolution pour la société (américaine) dont la capitalisation atteint 70 milliards de dollars. On le sait, la fortune de son business repose sur un principe génialement cynique : offrir un service aux consommateurs par le biais d’une application numérique en ayant recours à de faux indépendants donc sans obligations sociales. Les dirigeants d’Uber croyaient ainsi détenir la martingale sauf que… vingt chauffeurs britanniques sur les 70 000 utilisés par Uber ont dit stop ! Ils ont réclamé le statut de ce qu’ils sont : des salariés.

Un séisme à San Francisco

À San Francisco, siège de la société, leur demande a fait sourire les deux fondateurs Travis Kalanick et Oscar Salazar. Mais quand les vingt de Londres ont fait savoir qu’ils portaient leur demande devant les tribunaux britanniques, leur sourire est devenu rictus. Ils ont envoyé leur armée d’avocats rompus à toutes les manœuvres procédurières pour faire un sort à cette rébellion. Ces « Astérix » londoniens se sont entêtés. Avec leur syndicat, ils ont déjoué tous les pièges et porté l’affaire devant la plus haute juridiction britannique. Quand la Cour suprême a considéré que le temps de connexion à l’application, le contrôle permanent du groupe sur leur activité et les évaluations constantes des 70 000 chauffeurs faisaient d’eux des salariés comme les autres, le rictus est devenu grimace. Ce qui été vécu comme une libération pour des milliers de chauffeurs a eu l’effet d’un séisme du côté de San Francisco. Les boss ont eu beau tourner les attendus de la Cour suprême dans tous les sens pour y déceler un défaut, aucun recours n’était plus possible. Ils ont dû plier. Les tremblements de terre ont toujours leurs répliques. Celui provoqué par nos Astérix britanniques a eu lieu. Après l’annonce du verdict de la Cour suprême, l’action Uber a chuté de 17 % et la dégringolade continue. Pourtant, il y a un an, l’entrée en bourse laissait espérer une capitalisation à 120 milliards d’euros : les boursicoteurs et les fonds de pension espérant tirer un maximum de bénéfices du système Uber qui concerne aussi la livraison à domicile. Un gros blues s’est depuis emparé de tout ce joli monde. La décision de la justice britannique pourrait faire boule de neige dans les soixante-cinq pays où Uber a installé son système d’exploitation new look. Il chamboule aussi le modèle des plateformes numériques au Royaume-Uni et au-delà.

Pour une Sécurité sociale de l’emploi

En France, le système Uber est dans le collimateur, bien qu’il ait ses adeptes au plus haut niveau de l’État. Rappelons qu’en 2008, Emmanuel Macron avait co-écrit avec Jacques Attali un rapport destiné à Sarkozy. Il visait à déréguler le code du travail pour « libérer la croissance économique ». Uber et d’autres comme Deliveroo y ont fait leur nid. On sait désormais que ces recommandations auront surtout libéré les profits et fabriqué de la précarité et des bas revenus. L’affaire Uber UK amorce-t-elle un revirement ? Elle témoigne déjà que tout devient possible dès lors que la résistance sociale se fait. Elle met aussi à mal l’idée mille fois assénée que la concurrence étant, il faudrait attendre l’acceptation de tous les pays développés pour qu’une règle sociale soit applicable. On peut ne pas attendre, nous disent les 20 de Londres. Enfin, elle met sous les feux de l’actualité la proposition de Fabien Roussel, candidat communiste à la présidentielle de 2022, de créer une Sécurité sociale de l’emploi qui garantirait tous les parcours professionnels, reléguant ainsi la précarité au rang de mauvais souvenir comme le fut jadis la corvée seigneuriale.