Où sont les femmes ?

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 16 avril 2021 à 16:45

Il y a une semaine, dans ces colonnes, nous évoquions la condamnation du groupe pharmaceutique de Jacques Servier coupable de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires » avec le Mediator, mais relaxé du délit d’« escroquerie ». Mardi, le Parquet de Paris a fait appel de cette relaxe. Nous rappelions aussi qu’en dépit des soupçons entourant l’usage de ce médicament et l’enquête administrative qu’ils provoquèrent, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, n’y voyant que des mesquineries de ronds-de-cuir, avait attribué à Jacques Servier la grand-croix, grade le plus élevé de la Légion d’honneur. Une rare consécration car depuis 1802, date à laquelle Napoléon crée cet ordre, à peine plus de 1 200 personnalités ont été gratifiées de cette médaille suprême. Seules huit femmes figurent à ce tableau d’excellence de la nation et seulement depuis 1997 ! La première fut la résistante et présidente d’ATD Quart monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz à l’origine de la première loi sur la pauvreté en France. Elle fut suivie par les résistantes Germaine Tillion et Gilberte Champion torturée par Klaus Barbie, par Yvette Farnoux, également résistante et académicienne, par Jacqueline de Romilly philologue et helléniste, par la magistrate Simone Rozès, la générale Valérie André et l’égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt.  Huit femmes sur 1 200, c’est peu ! « Où sont les femmes ? » pourrait-on chanter après feu Patrick Juvet. N’ont-elles donc rien fait de remarquable entre 1802 et 1997 ? Pourtant, en feuilletant les livres d’histoire, une foule de noms féminins apparaît : George Sand, écrivaine, Louise Michel, institutrice icône de la justice sociale, Marie Curie, scientifique première femme prix Nobel, Simone de Beauvoir, femme de lettres et activiste pour la liberté des femmes, Sonia Delaunay, artiste peintre à l’œuvre unique, Claudie Haigneré, scientifique première française spationaute, Françoise Barré-Sinoussi, chercheuse qui a identifié le VIH, etc. Sans recherches épuisantes, on atteindrait aisément la parité. Cela n’a rien d’étonnant car les femmes sont partout. Leur talent et leur savoir-faire irriguent tous les secteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle ou sportive. On les retrouve jusque sur les carreaux des mines où elles triaient le charbon onze heures par jour et six jours sur sept tout en mettant au monde pour la patrie. Une femme mériterait bien aujourd’hui d’être mise à l’honneur : Sylvie Kimissa. Cette mère de famille d’origine congolaise de 50 ans a quitté son pays dans l’espoir d’une vie meilleure. Elle a connu toutes les galères qui jalonnent le chemin de l’émigration clandestine pour décrocher le graal, devenir femme de ménage à l’Ibis Batignolles de Paris. Sauf que le breuvage qu’il contient est amer. Pour six heures par jour et au moins 21 chambres à nettoyer, Sylvie gagne 1 000 euros mensuels, harcèlements permanents en sus. En 2019, elle et ses compagnes de misère ont dit stop ! La lutte conduite par Sylvie vaut pour tous les damnés de la terre. À titre symbolique ne mérite-t-elle pas une place au Panthéon de l’humanité et accessoirement la grand-croix ?

Une caisse de solidarité a été ouverte pour soutenir les femmes des Batignolles en action.