De l’État providence à l’État providentiel

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 8 janvier 2021 à 14:16

« Diminuons le rôle de l’État. Trop omniprésent », « trop d’État asphyxie la France » ... Il y a tout juste un an, les pourfendeurs de l’État « providence », de même que ceux qui nous gouvernent, rabâchaient la nécessité impérative de mettre un terme à la présence jugée excessive de l’État, c’est-à-dire de la Nation, dans l’économie. Bruno Le Maire ministre de l’Économie et des finances, apôtre de ce courant libéral irriguant les gouvernements depuis 1983, nous expliquait que l’État n’avait pas pour vocation d’être dans le capital des grandes entreprises. D’autant, précisait-il sans rire, « qu’il ne sait pas gérer », ne réalisant pas qu’il s’autocritiquait. Il en a pris argument pour réaffirmer sa détermination de privatiser ADP (Aéroports de Paris), une entreprise prospère employant 25 840 salariés et dégageant un bénéfice net de 588 millions d’euros en 2019. Au passage, il faisait fi du million de nos concitoyens réclamant un référendum populaire sur ce projet de vente. Rien ne devait arrêter le bulldozer des privatisations. Depuis mars 2020 les anathèmes contre « le trop d’État » ont cédé la place à un silence presque assourdissant. Ainsi, la privatisation d’ADP qui devait être bouclée au cours du premier semestre a disparu des radars gouvernementaux et des médias. On en connaît la cause. Le coronavirus est passé par là. Sous ses effets, des secteurs de l’économie se sont retrouvés en panne sèche. C’est particulièrement vrai pour le secteur aéronautique. Le trafic aérien a été interrompu. Conséquence, la future mariée qui avait vu le cours de son action grimper à 177 euros en janvier 2020 dégringolait à 90 euros en mai. Les prétendants se sont alors retirés sur la pointe des pieds. Face à la crise sanitaire, quatre entreprises sur cinq ont fait appel à une aide de l’État. 414 milliards d’euros ont été ou seront injectés dans l’économie. Sans l’intervention de la puissance publique, nous aurions sombré dans un marasme indescriptible. L’État providence tant décrié, est devenu l’État providentiel. Dès lors, on comprend mieux le silence actuel de ses contempteurs. Pour sa part, toujours sans rire, Bruno Le maire est devenu étatiste, n’hésitant pas à envisager la nationalisation de certaines entreprises comme Air France qui a bénéficié d’une aide de 7 milliards d’euros. Il en appelle même au patriotisme économique critiquant aujourd’hui les délocalisations massives effectuées par l’industrie automobile. Politique qu’il soutenait pourtant avant hier. Le ministre libéral de l’Économie et des finances se serait-il converti aux bien-faits d’un État acteur économique pérenne ? Le peuple ignare face aux experts et perpétuellement infantilisé serait-il devenu soudain un partenaire à respecter ? On peut en rêver. Il est plus probable qu’à l’image de la crise de 2008, cette posture soit circonstancielle et éphémère. La crise passée avec l’aide de l’argent public et avec le retour des bénéfices grâce au travail des salariés, la priorité sera une nouvelle fois donnée aux privatisations et aux intérêts privés. Sommes-nous condamnés à être des pigeons ? Est-ce l’intérêt de notre société et de ses membres d’errer ainsi au fil de l’histoire passant d’une crise à l’autre, et où seul l’intérêt privé prédomine ? Le système capitaliste actuel montre son incapacité à résoudre les difficultés qu’affrontent les populations. Les épisodes des masques ou celui des vaccins en ont été une pénible illustration. Il n’offre plus de promesses positives pour l’avenir car on le sait destiné aux seuls intérêts privés, comme le montre une fois de plus le recours aux licenciements pour cause de concurrence chez Michelin, qui fait pourtant des bénéfices. N’est-il pas temps de le changer ? De laisser la place à une nouvelle organisation de la société fondée sur la créativité, l’initiative individuelle et collective, le partage, la solidarité et la participation ? Une politique s’appuyant sur un état stratège et démocratique dans le cadre d’une économie régulée ayant comme priorité la satisfaction des besoins essentiels du peuple et l’épanouissement de chacun ? Une société d’égalité serait sans aucun doute mieux à même d’affronter les maux qu’inflige parfois la nature.