Le retour des manants et l’envol des touristes spatiaux

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 10 décembre 2021 à 11:42

Le froid est si vif que le vin gèle dans les bouteilles qui éclatent. Les oliviers s’ouvrent comme des cosses de petits pois et à Paris, on traverse à pied la Seine aux allures de banquise. Nous sommes en 1709. L’hiver a pétrifié la France. Dans les campagnes, les récoltes ont été mauvaises. Le grain manque, le bois aussi. Les émeutes se succèdent. On en dénombrera 298 cette année-là. Le plus souvent, il s’agit de révoltes frumentaires. Les cercles du pouvoir s’inquiètent. Pour tenter de dégager la responsabilité du régime, Louis XIV déclare que l’« augmentation subite [du prix des blés] doit estre attribuée non pas au défaut [manque] des grains mais à l’avidité de ceux qui veulent profiter de la misère publique ». Avec le froid qui glace les chaumières, les forêts seigneuriales sont devenues le théâtre d’affrontements. On y chasse davantage le ramasseur de bois mort, propriété du seigneur, que le cerf ou le sanglier. Dans les massifs bourguignons les contraventions infligées à ces délinquants énergétiques sont 24 fois plus nombreuses que l’année précédente. Pour tenter de faire retomber la pression, l’affouage, c’est-à-dire le droit des villageois à disposer d’une part des ressources forestières communales, est encouragé. L’effet est mineur car le nombre et la surface de celles-ci sont très limités. De son côté l’aristocratie, grande propriétaire, ne lâche rien. Le prix du bois, unique ressource énergétique, ne cesse pas d’augmenter. Entre 1726 et 1789 son prix grimpera de 91 %. Sous les effets conjugués du climat et d’un régime qui s’accapare l’essentiel des richesses pour vivre à la mode versaillaise, les inégalités deviennent criantes. « Il a fallu des siècles (...) pour sentir qu’il était horrible que le grand nombre semât, et le petit recueillît. » écrira Voltaire. Les graines de 1789 sont plantées. Novembre 2021. Une première vague de froid vient de s’abattre sur la France qui compte 12,5 millions de personnes en état de précarité énergétique selon l’ONPE [1]. Six millions d’entre elles restreignent leur consommation d’énergie faute d’argent et déclarent avoir eu froid au cours de l’hiver précèdent. Leur facture est en perpétuelle augmentation, 50 % entre 2007 et 2019. Un foyer a dépensé en moyenne 1 684 euros pour se chauffer en 2020, soit 426 euros de plus que le Smic mensuel. Ce 1er décembre 2021 dans le Nord, le prix de 1 000 litres de fioul domestique a atteint 976 euros contre 680 un an plutôt. Dans l’Yonne, depuis le début de l’année, 29 000 litres de diesel et d’essence ont été dérobés. Les autorités observent l’augmentation inquiétante de ces actes. « Six millions de litres d’essence sont volés chaque année en France uniquement dans le domaine du transport routier ». En Bourgogne, pour réduire leur addition de chauffage, les habitants d’Ouroux-sur-Saône ont remis au goût du jour l’affouage libéralisé au XVIIIe siècle ! La pratique se répand dans tout l’hexagone. 1er décembre 2021. Les cours du blé ont atteint 300 euros la tonne mi-novembre. Ils ont grimpé de 55% en un an. Un record et un danger : c’est tout l’équilibre alimentaire mondial qui pourrait péricliter, créant désordres civils, conflits et exodes. Jusqu’en Europe. L’ombre du mouvement des Gilets jaunes planant encore, le gouvernement de Macron a décidé d’accorder une « prime énergie » de 100 euros à 38 millions de Français. Une mesure qui en dit long sur l’état de paupérisation de la population. De son côté le gestionnaire américain d’actifs Janus Henderson table désormais pour 2021 sur une croissance de 15,6 % des dividendes, qui devraient atteindre 1.290 milliards d’euros, un record annuel absolu. En France, entre 53 et 55 milliards d’euros devraient être versés aux actionnaires principalement par les sociétés du secteur bancaire. Début 2022 lors de la mission spatiale AX-1, trois touristes spatiaux passeront une semaine à 400 kms au-dessus de la Terre. Un séjour pour lequel ils ont déjà déboursé 55 millions d’euros, auxquels ils ajouteront 31.000 euros par jour pour accéder aux divers équipements de l’ISS (sanitaires, électricité, air...).

Notes :

[1ONPE : Observatoire national de la précarité énergétique