Algérie : des lanternes contre la lumière

par Philippe Allienne
Publié le 15 mars 2019 à 17:29

Que faut-il vraiment penser d’Abdelaziz Bouteflika ? Hier présenté comme un octogénaire handicapé et privé de parole depuis un AVC survenu en 2013, le voilà qui revient surprendre le peuple algérien en débarquant d’une clinique genevoise. Encore fantôme lundi matin, il redevient le président élu depuis près de vingt ans. L’éternel absent reprend sa place dans le fauteuil du palais d’El Mouradia, la résidence présidentielle, et se revêt de l’habit politique qu’on lui connaît depuis l’époque de la concorde civile et de la réconciliation nationale. L’ombre du diplomate de Houari Boumediène ressurgit dans toute sa splendeur.

Malade, très malade, l’homme ne serait pourtant plus en mesure de gouverner. S’agit-il alors d’une marionnette manipulée par son frère Saïd, lui aussi en mauvaise santé, et par les généraux à la tête de l’armée ? Ou faut-il tout simple ment le voir comme l’homme symbole, et personnage clé, du personnage au pouvoir. Il faut pourtant se souvenir que, en arrivant à la tête de l’État algérien en 1999, il avait fait une obsession de ne pas être « un trois-quarts de président ».

Quoi qu’il en soit, c’est bien lui qui signe officiellement le « message à la nation » par lequel il rappelle le bilan des ses quatre premiers mandats (dont le retour à la paix) pour annoncer qu’il ne brigue pas de cinquième mandat (et qu’il ne l’a d’ailleurs jamais voulu). Et dans la foulée, il affirme sa « volonté inébranlable de servir la patrie » pour annoncer l’essentiel : IL RESTE. Il reste jusqu’à la prochaine élection présidentielle pour l’heure reportée sine die.

Qu’il soit ou non personnellement l’auteur du texte, on retrouve bien dans ces lignes et cette annonce la force et le cynisme du ministre des Affaires étrangères qu’il fut dans sa jeunesse. Cela ne s’arrête pas à cette volonté affirmée de garder la présidence. Le Premier ministre Ahmed Ouyahia, que la jeunesse n’a pas manqué de conspuer lors des manifestations, est tout simplement remercié.

Mieux, il est remplacé par un tandem constitué de deux proches de Bouteflika : Noureddine Bedoui (ex-ministre de l’Intérieur) et Ramtane Lamamra qui devient vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Ainsi est arrangée la reprise en main de la situation.

Bien sûr, il est promis à la jeunesse qu’elle restera très écoutée. Une conférence nationale est chargée de rédiger une nouvelle constitution, prélude à une « nouvelle République algérienne ». Excellent, mais difficile à croire pour les premiers concernés. Déjà, le peuple algérien a réagi très négativement à ce retournement et à cet art de rebondir du pouvoir en place. Ce qu’il veut, c’est la fin du système qui s’est installé au fil des décennies et qui a confisqué les richesses du pays au profit des dirigeants et des oligarques.

Aujourd’hui, les Algériens ont su commencer à relever la tête pour dire non. Contrairement aux mouvements de protestation précédents (jusqu’à décembre 2018), les manifestations qui ont mobilisé jusqu’à un million de personnes à Alger et des centaines de milliers dans les principales villes, se sont déroulées dans le calme et sans répression. Mais on ne peut se moquer impunément d’un peuple en lui faisant passer de vieilles vessies pour des lanternes. Les Algériens ne veulent pas de lanternes, ils veulent la lumière.