Coup d’Etat ou révolution du coeur ?

par Philippe Allienne
Publié le 21 juin 2019 à 10:56

«  Personne ne peut comprendre ce qu’il se passe en Algérie s’il n’y est allé vendredir au moins une fois ». La phrase est d’un Algérien de Lille qui s’est fondu dans une des manifestations qui donne, chaque vendredi, un visage révolutionnaire à Alger et à l’Algérie toute entière.

« Vendredir », ou « vendredire » c’est comme l’on voudra, est un néologisme qui a surgi au sein de ces manifestations qui ont démarré en février. Il s’agissait alors de demander le départ du président Bouteflika qui entendait se présenter à un cinquième mandat. L’humour algérois est toujours présent, même aux pires moments.

Surtout aux pires moments. Au début des années 80, lorsque les islamistes commençaient à montrer leur bêtise et leur cruauté en s’attaquant au visage des jeunes étudiantes dépourvues de voile, la rue a parlé de la bande FM. La modulation de fréquence faisait fureur en Europe avec l’irruption des radios libres. Sur l’autre rive, la bande FM, c’était celle des redoutables Frères musulmans.

« Vendredir », c’est descendre dans la rue pour aller jusqu’au bout des désirs et des aspirations d’un peuple jusque là brimé par un pouvoir sourd et traumatisé par le terrorisme de la décennie noire. Celle des années 90. La bande FM était devenue une horde de loups sanguinaires.

En voulant se maintenir au pouvoir coûte que coûte, ou peut-être en acceptant de rester au pouvoir pour que rien ne change et pour que la classe corrompue et l’oligarchie gardent les revenus pétroliers sans autre partage, Abdelaziz Bouteflika a peut-être déclenché l’une des plus belles révolution.

Bouteflika est aujourd’hui parti. Il est remplacé par un intérimaire, Abdelkader Bensalah. Pourtant, le mouvement se poursuit. En février, l’armée n’a pas tiré sur la foule. Or, les chars étaient prêts pour une sortie sanglante. Le contexte ne se prêtait déjà plus à la violence d’Etat.

Les jeunes de moins de 25 ans , qui représentent 45 % de la population du pays, aspirent à une vie plus libre avec un emploi et une existence sereine. Ils ne veulent plus être les laissés pour compte, comme le furent leurs parents. Ils veulent eux aussi profiter des richesses de leur pays. Ils veulent un réel partage.

« Quelque chose de grandiose est né en nous, Algériennes, Algériens, depuis le 22 février. Jamais nous ne nous sommes sentis aussi bien, aussi grands, aussi proches les uns des autres » écrit l’éditrice Sarah Slimani pour décrire ce que toutes et tous, maintenant, nomment du joli et optimiste nom « La Révolution du sourire ».

Pourvu que cela demeure vrai. Pourvu que ce mouvement populaire ne s’essouffle pas sous la chaleur de l’été. Mais reste une question grave. Que veut vraiment Gaid Salah, à la tête de l’armée populaire ? Pour l’instant, les anciens généraux sont partis. Les proches de Bouteflika sont poursuivis par la justice (dont son propre frère et deux ex Premiers ministres.

L’armée va-t-elle rester du côté du peuple ? Déjà, Gaid Salah a demandé, ou suggéré, de ne plus tolérer d’autre drapeau, dans les manifestations, que le drapeau national. Le drapeau berbère fait peur, visiblement. Déjà, les islamistes jusqu’ici discrets, tentent de relever la tête.

L’épuration à laquelle nous assistons au sein de l’Etat Major, du FLN, des anciens pro-Boutef ne serait-elle rien d’autre qu’un coup d’Etat masqué ? Ce serait désespérant pour un peuple et son avenir. Ce serait tuer dans l’œuf une révolution du cœur.