Histoire d’O

par Philippe Allienne
Publié le 28 juin 2019 à 14:23

Les fake news rendent fou. C’est au moins le cas pour le gouvernement qui, faute de les maîtriser aimerait les tuer dans l’œuf. Et dans l’esprit de son zélé secrétaire d’ État au numérique, monsieur O, l’œuf c’est le média, entendez les journaux, les radios, les télés, les agences. Et comme il ne saurait y avoir d’œuf sans poule et vice versa, la poule, c’est le journaliste.

Nous avons compris l’équation. Les fausses nouvelles et la désinformation (pour mister O c’est un tout) sont relayées par la presse, c’est-à-dire par les journalistes, donc il faut empêcher la presse et les journalistes de les véhiculer. Pour monsieur O, ce qui entre par le trou, d’une oreille, doit aussitôt être évacué par celui de l’autre (oreille). C’est une drôle d’histoire, à dire vrai, que nous conte le secrétaire dans tous ses états. Il ne fait après tout que donner logiquement suite au souhait macroniste en faveur d’un conseil de déontologie pour la presse. L’idée est particulièrement révolutionnaire.

Rappelons simplement que les écoles de journalisme ont inscrit la déontologie des journalistes à leur programme depuis leur création (l’ École de Lille a été fondée en 1924, excusez du peu), et que ce rappel à l’ordre semble quelque peu superfétatoire. Mais justement, le sieur O ne parle pas de conseil de déontologie, mais de « conseil de l’ordre ». Le truc qu’ont les médecins, les avocats et les notaires et qui sert à les sanctionner quand ils font des bêtises. C’est-à- dire quasiment jamais.

Allant bien plus loin que le rapport Hoog (le rapport gouvernemental qui prône un conseil de déontologie et de médiation), Monsieur O « considère qu’il doit y avoir un Conseil de l’ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’ État : “Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements.” »

Monsieur O, qui par parenthèse ignore sans doute combien l’on peut placer de signes dans un « canard », veut carrément une police du journalisme organisée par les journalistes eux-mêmes. Et ceux-ci seraient chargés d’aller cafter (pardon, « rapporter » car c’est leur métier) au représentant de l’ État que tel ou tel confrère se conduit mal avec les petites filles et les petits garçons et que, par conséquent, il faut l’interdire.

Ce qui turlupine Monsieur O, en fait, ce sont les médias que regardent les Gilets jaunes comme la télévision russe RT (Russian Todays) en encore l’agence Sputnik. Il est vrai que les chaînes françaises d’info continue et les journalistes macronistes apparaissent plus à même d’informer réellement dans le sens du poil !

Où va-t-on ? Dans quel gouffre totalitaire veut-on précipiter notre système d’information ? Les journalistes ne sont certes pas des super héros. Tel n’est pas le but. Ils ne s’embarrassent pas tous de scrupules, cela se saurait. C’est oublier un peu facilement l’armée de l’ombre qui fait son métier honnêtement, est payée au lance-pierre et souffre dans un travail qui demeure son choix.

Pour le reste, il faudrait encore que le gouvernement lui-même ne crée pas ou ne relaie pas de fausses informations. Mais pour lui, il s’agit simplement de communication positive. Peut-être faudrait-il prouver que les médias russes dont il a tant peur sont regardés par une majorité de Gilets jaunes. Peut-être faudrait-il qu’il cesse de faire une fixation sur les dits Gilets jaunes.

Mais à quoi bon se montrer plus naïfs que nous sommes ? Dès son arrivée au pouvoir, et même durant la campagne de la présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé la couleur : il n’aime pas les journalistes, il veut les choisir, l’indépendance de la presse l’agace. Les exemples sont légion. La presse et les journalistes ont toutes les raison de craindre le macronisme pour l’avenir de l’information.

Cette histoire d’O n’a rien d’une coulée douce. Elle est une menace qu’il faut combattre.