La fille de Brest

par Philippe Allienne
Publié le 18 octobre 2019 à 10:02

La Fille de Brest, c’est le titre d’une adaptation cinématographique qui, en 2016, racontait l’histoire d’Irène Frachon, la pneumologue lanceuse d’alerte qui a dénoncé le scandale du Mediator. Cette histoire a même fait l’objet d’une pièce de théâtre, Mon cœur, en 2017. Mais à présent, c’est sur une autre scène que se joue le drame provoqué par ce médicament anti-diabétique et, surtout, par le laboratoire Servier et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) poursuivis pour homicides involontaires.

Irène Frachon a été appelée, ce 16 octobre, à témoigner devant le tribunal correctionnel de Paris. Documents à l’appui, projetés devant les juges, elle a décortiqué durant plusieurs heures, et avec force détails techniques, la manière dont ce scandale a pu se produire et les pressions exercées par Servier pour étouffer la vérité.

Irène Frachon a découvert la réalité en 1990, il y a près de trente ans déjà, après être arrivée à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart. Dans le service de pneumologie où elle travaillait, elle voyait un nombre de plus en plus considérable de jeunes femmes atteintes d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). C’est précisément sa spécialité.

Que de ténacité il lui aura fallu pour parvenir à faire éclater la vérité. Le groupe Servier ne voulait rien entendre, a-t-elle expliqué devant le tribunal. Cela veut dire que le puissant laboratoire n’a pas hésité à utiliser des méthodes mafieuses, comme l’intimidation, sur les familles de témoins pour éloigner ces derniers et les réduire au silence.

Le harcèlement, la falsification de documents, les pressions sur la chaîne de pharmacovigilance faisaient aussi partie des méthodes de Servier. Le Mediator a été commercialisé en France entre 1976 et 2009. Il aurait été prescrit à au moins cinq millions de personnes et longtemps utilisé comme coupe-faim malgré des effets secondaires potentiellement dangereux (propriétés amaigrissantes, risques d’hypertension artérielle pulmonaire et de graves lésions des valves cardiaques). Il est accusé d’avoir provoqué la mort de 1 800 personnes.

Rien, pourtant, n’a fait dévier le groupe de son énorme mensonge. Ce faisant, il a continué à tuer des années durant. « Les autorités de santé étaient pétrifiées » ,raconte Irène Frachon. Aujourd’hui, sur le banc des accusés, il y a aussi l’Agence du médicament qui a longtemps fait la sourde oreille avant le retrait du médicament.

À partir de 2011, Servier a commencé à indemniser ses victimes. Il assure aujourd’hui avoir déjà proposé plus de 164 millions d’euros à 3 732 victimes. Mais, sur l’air de « Nous ne savions pas » ,il persiste à affirmer sa bonne foi. Et pour aller jusqu’au bout du cynisme et de la perfidie, il a saisi le tribunal administratif de Paris, peu avant le procès pour homicides involontaires, afin de réclamer à l’État le remboursement de 30% des indemnités qu’il a versées. De quoi tuer ses victimes une seconde fois. Le procès, qui a démarré le 23 septembre, doit durer jusqu’en avril 2020.