La guerre pour les droits voisins élargit la voie aux fake news

par Philippe Allienne
Publié le 31 octobre 2019 à 12:31

La guerre que se livrent actuellement les géants du net et les éditeurs de presse français pose un vrai problème : celui de la gratuité ou non de l’information. Faut-il admettre qu’une information de qualité puisse être mise gratuitement à la disposition du public ? Le développement de la presse gratuite, au début des années 2000, a montré que c’est effectivement possible.

Ces journaux, qui fonctionnent avec des journalistes professionnels, respectent les règles classiques de l’information. Ils recueillent les données (c’est le reportage ou l’enquête à partir d’interviews sur le terrain ou plus simplement par téléphone, c’est aussi la collecte à partir de documentation, etc.).

Ils diversifient et croisent leurs sources. Ils vérifient leurs informations. Ils les traitent, c’est-à-dire qu’ils les rédigent, sans les déformer, sous forme d’articles compréhensibles et accessibles par le lecteur. Dans l’idéal, ils mettent leurs informations en perspective. Tout cela , on le comprend , représente un travail souvent compliqué et demande des moyens conséquents. Le professionnalisme des journalistes entend une rémunération à la hauteur de leur travail. Il ne peut s’accommoder du dilettantisme.

Dès lors, si le journal qui publie ces articles d’information est distribué gratuitement, le lecteur s’habitue à consommer sans se poser la question du coût de ce qui lui est proposé. Cela concerne aussi bien le contenu que le papier, l’impression, le transport... Tout cela, bien entendu, est payé par les recettes publicitaires.

On comprend alors que la mise en perspective de l’information, l’analyse, le regard critique, l’investigation deviennent compliqués si le journal dépend uniquement des annonceurs. Mais les choses se complexifient encore plus si une plateforme met en ligne gratuitement des informations payantes par ailleurs. C’est à cela qu’a voulu répondre la directive européenne sur le droit d’auteur et qui vient d’être transposée dans le droit français. Depuis le 24 octobre, les « droits voisins du droit d’auteur » obligent les plateformes et les agrégateurs d’information comme Google News, à rémunérer les éditeurs de presse lorsqu’ils utilisent leur contenu, c’est-à-dire leurs articles, photos ou toute autre information.

C’était sans compter sur la puissance des géants que sont les Gafam. Goggle et Facebook, notamment, refusent de se soumettre et contournent la loi en proposant de ne publier que des liens ou en dégradant l’affichage des articles. Pour l’un comme pour l’autre, il n’est pas question de négocier sur une quelconque rémunération des droits voisins. En 2014, lorsque la question s’est posée en Espagne, Google a tout simplement fermé son canal Google News. Bien évidemment, les Gafam engrangent les recettes publicitaires en ligne.

Ainsi, la notion de gratuité de l’information, croisée avec des Gafam devenus incontournables et qui occupent des positions dominantes, mène-t-elle doucement à un contrôle des contenus par des acteurs privés qui pourront décider ou non de reprendre des articles de presse ou des extraits. C’est donc de la liberté de la presse qu’il est question. Si l’on pousse la logique jusqu’au bout, la toile pourrait être privée d’une bonne partie des contenus réalisés par des journalistes professionnels. Au contraire, les fausses nouvelles (fake news) fabriquées et diffusées par les internautes, disposeront encore davantage d’une voie royale.