Avec la disparition de Valéry Giscard d’Estaing le 2 décembre à l’âge de 94 ans, c’est toute une époque qui s’éteint. Les nombreux éloges décrivent l’ancien président comme celui qui « restera comme le premier président réformateur de la Ve République ». Certes, c’est sous son mandat que la ministre Simone Veil a fait passer la loi sur l’interruption volontaire de grossesse et que l’avortement a été dépénalisé. C’est sous son septennat que la majorité est passée de 21 à 18 ans et qu’a été créé un secrétariat d’État à la condition féminine confié à Françoise Giroud. C’est lui aussi qui est à l’origine de l’élargissement du droit de saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires. C’est sous les années Giscard que l’ORTF éclate pour laisser place à sept organismes autonomes et aller vers une offre de télévision plus diverse et échappant à la tutelle étatique. C’est lui aussi qui a contribué à construire ce que l’on a appelé le couple franco-allemand grâce à ses relations privilégiées avec le chancelier allemand Helmut Schmidt. Prémices d’une Europe libérale dévastatrice. Valéry Giscard d’Estaing laissera son nom à la « société libérale avancée » qu’il avait prônée et défendue dans son livre Démocratie française dès 1976. Les étudiants de l’époque se souviennent de la passion que VGE avait suscitée parmi de nombreux jeunes qui se sont ensuite ralliés sous le panache des « jeunes giscardiens ». Jeunesse qui avait soif d’horizons plus libres, plus ouverts que la perspective gaulliste que perpétrait feu Pompidou. Jeune, élégant, intelligent, le président élu en 1974 était un séducteur. Il avait percuté les jeunes qui seraient, très rapidement, la jeune bourgeoisie des années quatre-vingt et qui admireraient les Madelin et autres libéraux durs. Car dans le concept de « société libérale avancée », il y avait le mot « libéral ». C’est d’ailleurs bien ce qui plaisait à cette jeunesse aisée, sinon dorée. Le gaullisme se mourrait, le gaullisme était mort. Place aux jeunes ambitieux aux dents longues. En attendant, le président Giscard d’Estaing voulait enterrer le clivage entre bourgeoisie et prolétariat. Pour lui, il fallait gouverner au centre parce que la France était désormais dominée par la classe moyenne. Croissance économique, modernisation de l’industrie, nouvelles filières (comme le nucléaire), épanouissement personnel et qualité du cadre de vie. Sauf que les crises pétrolières et le chômage allaient contrarier cette société libérale avancée. Et tandis qu’en 1977 la guillotine achevait son sale travail à la prison des Baumettes de Marseille (avant l’abolition de la peine de mort quelques années plus tard), le Premier ministre Raymond Barre parlait de « bout du tunnel » en imposant l’austérité. Le « contrat de travail à durée déterminée » venait d’apparaître ainsi que les premiers contrats aidés. De leur côté, les travailleurs immigrés n’avaient qu’à bien se tenir. Giscard prônait l’immigration zéro, négociait avec l’Algérie, freinait les possibilités de regroupement familial et incitait les immigrés à rentrer chez eux (« Prends dix mille francs et casse-toi. »). Valéry Giscard d’Estaing, le président moderne, avait ouvert la porte définitivement au libéralisme économique.
Le libéralisme avancé de Giscard
Publié le 4 décembre 2020 à 12:12