Les « invisibles » des médias

par Philippe Allienne
Publié le 2 décembre 2019 à 22:23

Mis en lumière par le film éponyme de Louis-Julien Petit (2018), les « invisibles », chez nous, sont les petites gens, sans domicile fixe, travailleurs pauvres, salariés laissés sur le carreau par d’abominables plans sociaux (il faut dire aujourd’hui « plans de sauvegarde de l’emploi » !). Bref, les « invisibles », ce sont ceux que l’on ne voit pas, que l’on ne doit pas remarquer parce qu’on les cache, ou parce qu’ils se cachent. Les invisibles, ce sont les pauvres. Ils sont dignes, ils sont pauvres et la société libérale les voudrait invisibles.

À lire l’écrivaine Joyce Carol Oates, dans un article qu’elle publie dans la revue America, les invisibles existent également de l’autre côté de l’Atlantique. Mais là- bas, ils sont milliardaires. Ils règnent sur des océans de dollars, ils n’aiment pas trop les projecteurs, ils adorent le calme, la volupté sans doute, la discrétion certainement.

Certains, à dire vrai, ne fuient pas les caméras. C’est le cas, par exemple, de Michael Bloomberg, ex-maire de New-York, Républicain passé au Parti démocrate, et candidat à la présidentielle contre Donald Trump.

Financer une campagne électorale revient cher. Pour le candidat de dernière minute, tout va bien. En quelques jours, il sort sans ciller la bagatelle de 31 millions de dollars pour l’achat de spots publicitaires télévisés et d’encarts dans une vingtaine d’États américains.

Qui est celui qui tente ainsi d’acheter son élection et de contourner le processus politique ? C’est un patron de presse dont la démarche est dénuée d’ambiguïté. Un an avant de créer Bloomberg Business News, en 1990, il se renseignait sur la manière de faire pour « entrer sur le marché de l’information ». En 2013, l’Agence Bloomberg possédait 146 bureaux dans 72 pays, et employait 2 400 personnes pour sa seule activité dans les médias (une agence, une télévision, une radio et le magazine Bloomberg BusinessWeek). On imagine mal les journalistes de ces médias porter un oeil critique sur leur patron candidat.

Outre le cas Bloomberg, ils sont nombreux qui, milliardaires, possèdent ou s’achètent des médias et, dans la discrétion toujours, dominent l’information pour mieux maîtriser les cerveaux et, au final, le pays. En France, nous avons presque les mêmes. Ils sont juste un peu plus visibles. Vous en trouverez une liste dans le supplément spécial « Comme un air de liberté » que nous publions ce mois-ci (voir page 2). Xavier Niel, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, François-Henri Pinault, Patrick Drahi, Arnaud Lagardère, la famille Mohn, etc. Des invisibles qu’il faut regarder de près.