Polémique, polémique...

par Philippe Allienne
Publié le 6 novembre 2020 à 12:25

La polémique autour des livres, pendant le confinement, peut aisément se comprendre. Inter- dire la lecture alors qu’est fermé l’accès aux loisirs, aux bistrots, aux restaurants, etc. conduit certainement à un état d’angoisse et de stress. D’autant que ce confinement version automne-hiver n’est pas du tout le même que celui du printemps dernier.

Télétravail ou pas, les gens travaillent, les usines fonctionnent, les élèves vont à l’école, les SDF dorment là où ils peuvent. Et puis, les consommateurs peuvent toujours, à défaut d’aller chez le coiffeur ou chez le fleuriste, se rendre dans leur agence bancaire. Elles demeurent ouvertes parce qu’elles sont considérées comme des « commerces essentiels ». Pas la culture.Alors oui, on comprend les assoiffés de lecture et la colère des libraires indépendants. C’est d’ailleurs pour y faire face que les grandes surfaces ont dû également fermer leurs rayons littéraires (mais pas ceux consacrés à l’informatique).

Lors du premier confinement, on a entendu de nombreuses personnes affirmer qu’ils avaient profité de ce moment très particulier pour relire les œuvres intégrales de Proust, Dumas, Molière, Racine, Platon, Aristote... Bref, tous les grands classiques. La chose n’a pas été vérifiée. Ce n’est pas grave, pour celles et ceux qui ont bluffé, il y a moyen de se rattraper malgré la fermeture des librairies. On peut commander son ou ses livres à son libraire qui les préparera avec amour et les emballera même avec un beau papier recyclé.Tout comme le vilain hamburger que j’ai dévoré l’autre midi après l’avoir soustrait au comptoir d’une vente à emporter.Certes, l’ironie est ici facile. Les lecteurs et les libraires nous le pardonneront lorsque nous irons de nouveau farfouiller dans leurs rayons. Il n’en est pas moins vrai que l’indignation, qui devrait s’étendre à l’ensemble de la culture, peut sembler bien dérisoire au regard de cette autre souffrance.

Celle des femmes et des hommes qui bossent dur, dans ces clusters présumés que sont les grandes entreprises où il faut produire quoi qu’il en coûte.Ces ouvrières et ouvriers doivent eux aussi se passer des services de leur librairie préférée. Elles et ils ne peuvent passer de longues soirées enflammées dans les cafés où, verre à la main, ils refont le monde. Ils ne peuvent s’offrir le restau sympa qui réchauffe l’âme. Ils ne peuvent se détendre à l’opéra, au théâtre ou au cinéma. Cela vaut aussi pour celles et ceux qui vivent d’un RSA ou d’une allocation chômage. Mais il est vrai que, si rien n’est jamais trop beau pour un ouvrier, l’accès aux nourritures de l’esprit et aux belles tables est de toute façon souvent, parfois toujours, fermé. Auront-ils seulement accès aux réunions familiales de fin d’année ? Pendant ce temps, les lits manquent dans les hôpitaux, le personnel soignant est en surchauffe, les enseignants sont épuisés. Va-t-on encore parler, à propos de ce confinement automne-hiver, d’un après qui chanterait juste et bien ?