Suicide d’une enseignante

par Philippe Allienne
Publié le 28 septembre 2019 à 03:16

C’est une directrice d’école maternelle, ici, proche de nous. Peut-être a-t-elle en charge les enfants de certains d’entre nous. Certainement même. Dès potron-minet, elle est au travail. Devant son ordinateur. Puis, très vite, au coeur de son « petit royaume » qu’elle ne quitte finalement jamais. Le sien est très républicain et très laïc. Et il y a énormément à faire pour cette multitude de têtes qui, depuis bien longtemps, ne sont plus majoritairement blondes. Elle a de l’expérience.

Son travail - son métier - n’a rien de mécanique. Dans sa tête circulent, se bousculent, une foultitude (accepterait-elle le terme ?) de questionnements, de soucis, de problèmes qu’il faudra régler dans la journée. Ce lundi matin ne sera pas comme les autres. Les questions, les soucis, les problématiques, et surtout... ce coeur qui bat à la vue des enfants dont l’avenir lui est pour partie et pour un temps confié. Oui, tout est là, tout est devant. Elle est une battante, elle y croit et elle a raison. Sauf que... la directrice d’école découvre une lettre. Est-elle directement destinataire ? Sans doute pas. La découvre-t-elle sur les réseaux sociaux ? Est-elle officiellement informée ? Gageons plutôt pour les réseaux, sociaux ou non.

Que dit cette lettre, adressée en fait à 25 directeurs d’écoles de Pantin, une commune de Seine-Saint-Denis, à un peu plus de 200 kilomètres ? Elle dit la souffrance d’une de ses collègues, directrice d’une école elle aussi, l’école maternelle Méhul de Pantin. Alors, dans cette métropole lilloise ensoleillée, le sourire bienveillant de l’enseignante nordiste se fige. Comment comprendre en effet que dans cette ville de banlieue parisienne, pas très loin, une collègue ait choisi de se donner la mort trois semaines à peine après la rentrée scolaire ? En fait, Christine Renon, forte d’une solide expérience au service de l’enseignement public, des enfants, de leurs familles, explique tout dans la lettre qu’elle a envoyée aux chefs d’établissements scolaires de sa ville.

« Aujourd’hui samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée », commence-t-elle. Suivent trois feuillets où s’accumulent les souffrances, les incompréhensions, la lassitude. Elle y explique le stress qu’elle vit quand, avec l’inspecteur, elle fait « la course aux enseignants pour son école », le samedi pour le lundi de rentrée. Elle parle du risque évité de fermeture de classe. Elle évoque la solitude des directeurs d’école, la honte et le refus de devoir (elle a refusé) dénoncer un élève de 3 ans d’attouchements sexuels sur une élève du même âge (« alors qu’on est sûr qu’il ne l’a pas fait ») !

Elle passe en revue les réformes successives, les choix hasardeux du ministère, les tâches inutiles, « la perspective de tous ces petits riens qui occupent à 200% notre journée ». Le ministre Blanquer et sa réforme à tiroirs sait-il seulement de quoi il parle lorsqu’il dénonce la pression que l’on met sur les enfants à propos du climat ? On peut en douter. Dans la métropole lilloise, la directrice d’école respire et pense à ses élèves. Elle ouvre sa page facebook, poste sa photo et inscrit sobrement : « Hommage à Christine Renon ».

La copie intégrale de la lettre de Christine Renon est à lire sur cette page

par Philippe Allienne

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