La crise sanitaire que nous traversons ne laissera sans doute personne indemne. Les règlements imposés au gré des confinements, couvre-feu et autres restrictions auront su nous obliger à nous adapter pour accepter une forme d’autoritarisme inimaginable il y a encore un an. Cela va jusqu’à la censure de nos sentiments et de nos habitudes culturelles et festives. La suppression du réveillon du nouvel an atteint un summum. Force est de constater que nous sommes majoritairement bons élèves. Ce faisant, ces nouveaux modes de vie, fussent-ils annoncés à titre provisoire mais sans date butoir, risquent fort de s’installer durablement dans un coin de notre cerveau. Nous sommes en quelque sorte en train de nous habituer à être conditionnés pour adopter une autre manière d’être et d’exister. Le cas des embrassades et du serrage de mains est typique. Ne pas s’embrasser, ne pas se serrer la main, ne pas parler trop haut pour éviter la propulsion de la vilaine bête…. La préservation de la santé de notre entourage peut le justifier. Mais demain, quand le vaccin aura fait véritablement fait reculer la pandémie, quand il l’aura, espérons-le, tuée, retrouverons-nous l’habitude de nous enlacer, de crier et de parler fort ? Ou serons-nous tentés de garder nos distances et de nous exprimer dans les tons les plus bas, sans jamais montrer notre impatience et nos passions ainsi que cela se fait à la table des gens de pouvoir ? La question vaut sans doute d’être posée s’agissant de notre vie intime et de notre manière d’exister dans l’univers. Faudra-t-il nous inventer une solitude adaptée à un après. Un après quoi ? Dans le monde du travail, où l’on se veut plutôt pragmatique, la question n’est pas seulement posée. Elle trouve déjà des débuts de réponse, mais pour une catégorie de personnes seulement. Et ici, l’idée de répandre le télétravail réapparaît dans toute sa splendeur. Les « partenaires sociaux » viennent de conclure un nouvel accord national interprofessionnel encadrant la mise en œuvre de cette forme d’organisation. Sans juger le contenu de cet accord, on voit bien l’émergence de ce travail à distance qui, pour certains seulement, a été mis à profit durant la crise sanitaire. Sans le danger représenté par le coronavirus, il n’est pas certain que le télétravail aurait été aussi prisé qu’il semble l’être à ce moment de l’histoire. Chez les cadres et les managers, on ne fait pas dans le détail. Selon une étude que vient de réaliser l’Apec, 83 % des cadres expriment l’envie de télétravailler ou de continuer à télétravailller, dont 87 % chez les moins de 30 ans et 77 % chez les plus de 50 ans. Gilles Gateau, directeur général de l’Apec, l’écrit ainsi : « La crise sanitaire, et les deux confinements qui en découlent, auront constitué un accélérateur pour le télétravail. (…) Les cadres [et managers] seront la pierre angulaire de cette révolution en marche vers un nouveau contrat social fondé sur l’autonomie, l’attention bienveillante et la confiance. » Il est ainsi des révolutions qui prennent des allures de grand bond en arrière, en nous repoussant vers l’individualisme et - surtout - le non collectif.
Télétravail et réinvention de la solitude
Publié le 18 décembre 2020 à 11:30