L’écrivain maudit n’est pas un mythe. Prenez André de Richaud (1907-1968). D’abord, il est largement oublié. Ensuite, il n’a jamais vraiment connu le succès de son vivant, à l’exception de son premier roman. On dit que les subsides accordés par Michel Piccoli, qui était un grand admirateur de son œuvre, l’ont aidé à boucler bien des fins de mois. Ce clochard mondain, cet écorché vif n’oublia jamais son enfance et ses blessures irréparables alors qu’il faisait partie de ces glorieux buveurs désespérés qui hantèrent les nuits de Saint-Germain-des-Prés à partir des années cinquante. Né à Perpignan, très tôt orphelin, un temps professeur, il écrit, à vingt-trois ans, La Douleur, un roman étouffant et bouleversant qui fit scandale en racontant comment une jeune mère reporte tout l’amour qu’elle avait pour son mari tué en 14 sur son fils, au point de l’étouffer avant de le délaisser pour un prisonnier allemand. Richaud fut aussi un poète à la fois sombre et limpide, toujours hanté par le désir d’arriver à dire qui il était au juste, de se prouver qu’il était vivant et dire dans le même temps son envie paradoxale de disparaître totalement, comme dans le poème ci-contre.
TestamentAutrefois j’aurais voulu être le dernier oiseau du dernier plataneLa première lueur du matin sur l’aile d’un olivierL’orange du midi, bien pendue sur ses feuillages de parfumEt ce nuage qui joue autour du phareJ’aurais voulu être une phrase coupée au raz d’un poèmeDécouvert par une jeune fille aux cils de pavotAu bord d’un grenier de ProvenceMais maintenantMon dernier désir est que mon souvenir brûleLes pierres où il est gravéIci et là au petit vol de mes voyagesLes sables de la mer n’ont pas besoin de dictionnaireToutes les feuilles meurent en automneRien n’est qu’un feu mort au fond d’un ruisseau secQue mon visage s’écrase en vousOmbre de ma jeunesseEt qu’il ne reste rien de ce fer rouge.(Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1966)