Antoine Blondin a cent ans

par JEROME LEROY
Publié le 2 juin 2022 à 12:44

Antoine a cent ans. Je ne l’appelle pas Antoine par familiarité, c’est parce que ses amis l’appelaient tous ainsi, comme en témoigne un des plus jolis livres écrits sur lui, Monsieur Jadis est de retour. On doit encore le trouver chez les bouquinistes. Audouard l’avait publié en 1994, trois ans après la mort de Blondin. Audouard commence par une évocation de son enterrement. Il note, de manière d’ailleurs très blondinienne : « Le 10 juin 1991 régnait sur Saint-Germain-des-Prés un printemps pour touristes de luxe. Au début de l’après-midi, il y avait foule sur le parvis et à l’intérieur de l’Église. On était venu en voisin rendre une dernière visite à un ami. Il se nommait Blondin mais tous l’appelaient Antoine. » Il me semble bien que j’étais dans cette foule, c’était un lundi et je n’avais pas cours, j’en avais profité pour venir de Lille, parce que j’avais aussi ce sentiment-là, simple lecteur inconnu, d’avoir perdu un ami. Antoine a cent ans et j’aime à le croire toujours sur la route, perdu comme ses héros qui étaient affligés d’un certain nomadisme sous-préfectoral, à rechercher des trains qui partent enfin dans les gares d’intérêt secondaire. Je n’ai pas l’impression que son centenaire fasse beaucoup de bruit. Ça ne l’aurait pas plus gêné que ça. Il s’était tout de même laissé enfermer dans la légende du Saint-Buveur par des gens qui trouvaient son ivrognerie pittoresque alors qu’elle le détruisait sous leurs yeux. Antoine a cent ans, et on ne comprendra rien à la prose la plus somptueusement mélancolique de la littérature française du siècle dernier si l’on ne voit pas que Blondin a eu toute sa vie le sentiment qu’on lui avait volé une jeunesse, parce qu’il était passé directement, comme une bonne partie de sa génération, du statut de lycéen à celui de père de famille. Sans transition, ou plutôt avec une transition qui s’est appelée la Seconde Guerre mondiale. Antoine a cent ans, et là où cet auteur réputé de droite pourrait intéresser les communistes - il publia même dans l’Huma -, c’est que Blondin a toujours, aussi, été à la recherche d’une communauté : celle qui verrait des amis pouvoir vivre ensemble dans une atmosphère de légèreté. Ses héros solitaires rêvent de phalanstère comme l’était l’appartement bohème de ses parents au Quai Voltaire ou encore la caravane du Tour de France. Il n’a laissé qu’une poignée de romans, un recueil de nouvelles et des articles, notamment sur le sport. La Table Ronde, éditeur historique d’Antoine, réserve une belle surprise pour ce centenaire, une édition collector d’Un Singe en hiver, un roman de 1959 qui fut le premier et à vrai dire le seul succès réellement commercial de Blondin avec le prix Interallié mais aussi et surtout par l’adaptation cinématographique qu’en fit Henri Verneuil en 1962, ce qui nous fait un autre anniversaire, le soixantième pour ce grand film patrimonial du dimanche soir, avec Belmondo et Gabin dans les rôles principaux et Michel Audiard aux dialogues.

Un Singe en hiver, édition illustrée avec des images du film d’Henri Verneuil, éd. La Table Ronde, 2022, 28 €.