C’est fantastique tout ce qu’on peut supporter

par JEROME LEROY
Publié le 23 mars 2021 à 10:50

Le 30 novembre 1915, alors qu’il était au front, le poète Guillaume Apollinaire écrivait à Madeleine Pagès : « C’est fantastique tout ce qu’on peut supporter. » Ces jours-ci, la pandémie de Covid-19 fête en France son premier anniversaire et on a l’impression d’être revenu à la case départ. Alors, oui, c’est fantastique tout ce qu’on peut supporter. On peut supporter d’entendre que la population est usée psychiquement et qu’elle aurait du mal à vivre un autre confinement dur. Alors que si elle est usée psychiquement, c’est précisément parce qu’elle est réduite à une variable d’ajustement pour l’économie. On peut supporter de travailler, de fréquenter des cantines, de se dépêcher de faire ses courses pour rentrer à 18 heures alors qu’on nous dit que les musées, les salles de cinéma, les plages le dimanche sont plus dangereuses qu’un métro aux heures de pointe. On peut supporter, en plus, pour certains d’entre nous, de s’enfermer le week-end. Et supporter de n’entendre aucune voix, ou si peu, pour dire que c’est cette politique humiliante qui a fini par user, depuis le mois de novembre, le moral des Français, infiniment plus qu’un confinement dur, limité dans le temps, qui fasse baisser la pression comme au printemps dernier. On peut supporter, mais pour combien de temps, de voir que tout cela ne sert à rien, qu’il y a maintenant dix mille morts par mois et vingt- cinq à trente mille contaminations par jour, et que chaque semaine les autorités disent que la sortie du tunnel est pour dans quinze jours, alors que tout ça ressemble davantage à ces mirages qui apparaissent dans le désert et disparaissent au fur et à mesure qu’on s’en approche. On peut supporter les bobards institutionnalisés et démentis par l’expérience de chacun sur le rythme des vaccinations, les débats des chaînes info où est célébré le génie de Macron le Virologue qui a fait fermer leurs bouches aux scientifiques alors que, déjà, on réarme des TGV sanitaires pour gagner quelques lits et éviter que ça commence à mourir dans les couloirs. On peut supporter l’obscénité présidentielle aux multiples visages. Par exemple, parler d’un « pari » de ne pas reconfiner, comme si une politique de santé publique était une affaire de bookmaker, en oubliant que tout ça se chiffre en deuils. Ou alors, s’adresser à la jeunesse en lançant un défi à des « influenceurs » sur YouTube qui s’appellent, excusez du peu, Mcfly et Carlito. Voilà des jeunes qui ne sont pas islamogauchistes, au moins. On peut supporter, puisqu’on aborde les sujets qui fâchent, de voir Blanquer évoluer dans une réalité parallèle où le virus, allergique aux études, ne pénètre pas dans les écoles et, en matière d’université, se lancer dans une croisade idéologique plutôt que de s’interroger sur la grande misère de la recherche qui amène la France à être le seul pays qui ne propose pas de vaccin malgré la baleine Sanofi trop occupée à engranger les dividendes tout en licenciant. Oui, Apollinaire a raison, c’est fantastique tout ce qu’on peut supporter.

Dernier livre paru : Vivonne (éditions de La Table Ronde).