En voie de sous-développement

par JEROME LEROY
Publié le 2 décembre 2022 à 12:40

La semaine dernière, je vous parlais de tiers-mondisation de la France. Je me suis demandé après coup si je n’avais pas exagéré. Eh bien, hélas, je ne crois pas. Oh, il pourrait y avoir une vision de droite de la tiers-mondisation avec ses fantasmes de Grand Remplacement. Mais moi, je parle d’une vision de gauche. Par exemple, si je constate qu’un service public ne fonctionne pas bien, je ne mets pas en accusation les fonctionnaires qui, dans l’imaginaire de droite, sont tous des fainéants syndiqués. Non, je constate juste que la logique de libéralisation, cette manière de transformer l’usager en client ou en consommateur dans tous les domaines, cette logique-là, donc, est arrivée à son terme et on en voit les conséquences. Vous voulez mettre vos enfants à l’école ? On manque d’enseignants, partout, parce que plus personne ne veut exercer ce métier dans ces conditions-là, c’est-à-dire en étant mal payé et en étant mal considéré, désigné par les médias ou le ministre de l’Éducation lui-même (Remember Blanquer), comme responsable de tout ce qui ne fonctionne pas dans le système éducatif.

Vous voulez vous transporter ? L’offre de trains n’est jamais revenue à son niveau d’avant la crise du covid, le personnel manque à l’appel parce que là aussi, à force d’attaque sur les statuts, il n’y a plus personne pour accepter le job. La RATP arrive à peine à faire rouler ses métros à bout de souffle en multipliant des « primes à l’assiduité  » qui sont un moyen, peu efficace au demeurant, de vouloir casser les grèves. Hors de question, là-aussi, d’augmenter les salaires mais des projets improvisés par Macron : des RER dans toutes les grandes villes alors qu’on n’est même pas capable de faire circuler ceux de Paris sans augmenter de 25% le tarif du pass Navigo. Vous voulez vous soigner ? Choisissez bien votre région et de préférence vivez en centre ville parce que la France n’est pas pleine de déserts médicaux, elle est un vaste désert médical. Le système de soins s’effondre partout. Un médecin me disait que paradoxalement, la crise du covid avait masqué la grande misère de la Santé car l’État, affolé par l’ampleur de la vague, avait rendu les moyens qu’il avait pris à l’hôpital pour qu’il puisse fonctionner normalement. Juste normalement. Et maintenant, les moyens sont à nouveau retirés. Et on accepte des choses qui il y a dix ans nous auraient semblé dignes de l’Angleterre de Thatcher : voir des urgences fermées, des opérations et des chimios retardées, des soins auxquels on renonce fautes de soignants. Cerise sur le gâteau (c’est le cas de le dire), j’apprends au moment de terminer cette chronique que les enfants de nombreuses écoles ont vu leur repas à la cantine amputé soit du dessert, soit du fromage pour éviter d’augmenter le prix du menu à cause des coûts de production qui ont explosé dans l’agroalimentaire. Ce qui définit un pays du tiers-monde, qu’on appelle désormais par pudeur un pays en voie de développement, c’est la présence d’une oligarchie richissime et d’une masse de miséreux. On n’en est pas encore là, mais à défaut d’être un pays du tiers-monde, la France et l’Europe d’ailleurs, sont manifestement des pays en voie... de sous-développement.