Faire semblant de ne pas comprendre

par JEROME LEROY
Publié le 16 septembre 2022 à 12:13

C’est tellement facile, à droite et hélas parfois à gauche, de faire semblant de ne pas comprendre les derniers propos de Fabien Roussel sur la gauche du travail et du salaire. Il serait temps pourtant de saisir ce qui se passe aujourd’hui dans ce fameux «  monde du travail ». Avez-vous entendu parler par exemple du «  quiet quitting  » ? L’anglicisme cache tout simplement la ferme intention d’en faire un minimum au boulot. Terminé la vénération de la valeur travail. J’ai encore entendu récemment des gens s’indigner que quelqu’un quittant son bureau à 18H, recevant un coup de fil à 18H01, ne se retournait pas au risque de «  rater une vente  », rater une vente étant ici donné comme exemple d’un crime à peine moins monstrueux que de tuer une vieille dame ou de bombarder des civils. Comment leur expliquer, à ces gens, que le partage de la valeur entre le capital et le travail a tellement été défavorable au travail depuis la révolution néolibérale (depuis 1983 en France) que le travail se mue tout doucement en une forme d’esclavage. Alors ces mêmes libéraux vous diront qu’il suffirait de baisser les aides sociales et l’indemnisation des chômeurs pour que le travailleur revienne fissa la queue basse. Jamais, ils ne parlent comme Fabien Roussel d’augmenter massivement les salaires. Sinon, c’est la société entière qui va se déliter. Déjà 45 millions d’Américains et apparemment 500 000 Français pour le premier semestre 2022 ont disparu dans la nature plutôt que de bosser. On appelle ça la Grande Démission. J’avais écrit un roman, en 2017, qui essayait de cerner cette sécession douce, «  Un peu tard dans la saison ». Les arguments du capitalisme n’impressionnent plus : « Et votre avenir, alors, vous ne voulez plus être propriétaire ? Vous ne voulez plus emprunter sur 30 ans ?  », surtout depuis que les étés des pays tempérés se passent par 45° à l’ombre, que des virus émergents font le tour du globe en mutant tous les deux mois, qu’on bombarde les centrales nucléaires pendant que des incendies monstres mangent des départements entiers et qu’il est difficile d’imaginer quelle gueule aura la planète dans cinq ans. Sincèrement, pourquoi décrocher à 18H01 ? Pourquoi même, si on trouve d’autres solutions, (solidarité familiale, constructions de communautés affinitaires, mutualisation des compétences, etc...) venir se faire burn-outer par une tête de mort ? Le capitalisme, encore une fois, misait ces derniers temps sur le fait qu’on accepterait tout, tant qu’on aurait quelque chose à perdre. Il a manqué son pari. Le peu qu’il lui reste, à savoir du temps, la jeunesse veut le garder pour elle et le perdre comme elle l’entend. Alors oui, il est temps de retrouver le sens du collectif, mais pour y réussir, il faut que les patrons comprennent que les belles heures du néolibéralisme sont terminées.