Un été en poésie

Guy Chambelland, loin des poètes officiels

par JEROME LEROY
Publié le 26 août 2022 à 17:00

Ceux qui donnent tout pour la poésie, sans même parler de la figure tutélaire de Rimbaud, font souvent le même cauchemar : un monde sans poésie, sans la possibilité de la poésie pour le dire, cette possibilité qui permet de bien mieux le comprendre et le ressentir que ne sauraient le faire tous les autres discours : l’histoire, la sociologie, la psychologie ou tout ce que vous voudrez d’autre. Guy Chambelland, né en 1927 et mort en 1996, abandonne toute activité professionnelle et notamment celle de l’enseignement, pour non pas devenir poète, il l’était déjà, mais vivre en poésie et, ô pari fou, vivre de la poésie. Il sera imprimeur, avec une bonne vieille presse à bras du côté de Dijon, éditeur et revuiste. On lui doit la mythique revue Le Pont de l’Epée, 81 numéros tout de même jusqu’en 1983, et quelques grandes polémiques sur les poètes officiels. Ses poèmes, en prose ou en vers, respirent une sensualité du quotidien, un réalisme accepté dont il faut savoir jouir ou savoir souffrir, mais toujours savoir le dire avec le mot juste, qu’il s’agisse de la pluie qui tombe, d’une femme qui prend son plaisir ou d’une autre qui s’en va.

Il se met à pleuvoir...

Il se met à pleuvoir, très doux, sur les collines. Au parfum de buis que dégage la terre, aucun doute : j’approche. Demander de quoi (à qui ?) irait contre la Poésie. Seule une muraille d’air m’en sépare. Une femme passe. Au contact de la pluie, sa chair se fait diamants. Comme le tronc le feuillage, elle promène son dieu. Je m’envole alors et m’arrête juste au-dessus d’elle, où, de l’épée que fait naître ma main levée, je la transperce de la nuque au talon. Tel le taureau. Les voiles alors devraient se déchirer, les portes secrètes basculer, les mots éclore leurs objets, la lumière, c’est-à-dire l’âme, se faire. Or rien. Il faut en prendre son parti. Ce ne sera pas encore pour aujourd’hui. Hé oui. Rien que la pluie sur les collines. Que pouvoir dire qu’il pleut. Qu’il pleut doux. Très doux. Comme Très doux. Comme Guy Chambelland, La mort la mer (1971)