La police de l’émotion

par JEROME LEROY
Publié le 26 avril 2019 à 17:05 Mise à jour le 3 mai 2019

Cette police de l’émotion, elle est d’autant plus efficace qu’il y a les chaines infos et les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) pour quadriller les réactions des uns et des autres.

C’est à des événements comme l’incendie de Notre-Dame que l’on mesure à quel point la police del’émotion devient de plus en plus féroce, nous obligeant à tous pleurer pour les mêmes raisons, àtaire toute question et à être somméd’applaudir et de huer qui on vous dit d’applaudir ou de huer.

Bon, primo nous avons nous aussi été choqués par l’incendie de Notre-Dame mais pas au point de perdre tous sens critique. Secundo, nous avons nous aussi trouvé stupide le tweet de cette responsable de l’UNEF qui a cru bon de parler « de délire de petits blancs » mais elle ne mérite pas non plus le pilori médiatique. On a aussi le droit de dire des conneries, on pourrait juste lui conseiller de s’occuper de pourquoi elle a été élue : la défense des étudiants et non des professions de foi communautaristes.

Tertio, nous avons nous aussi trouvé assez beau l’élan caritatif des Français mais pas au point de sombrer dans l’admiration béate des Pinault, des Arnault, qui débloquent en quelques heures des centaines de millions d’euros. Mais voilà, interdiction de critiquer ces gentils donateurs qui veulent réparer la cathédrale. La police de l’émotion exige que vous aimiez les riches car ils sont généreux.

Pourtant comment s’empêcher de penser que la seule chose que ces outres arrogantes ont àréparer, c’est « le pognon de dingue » comme dirait l’autre, qu’ils planquent grâce à l’optimisation fiscale ou qu’ils reversent en dividendes aux dépens de la rémunération du travail. Comment s’empêcher de penser que les deux cents millions de Pinault sont bien peu de chose quand on sait qu’Anticor, en novembre 2018, a porté plainte contre LVMH pour un détournement de 600 millions d’euros sur le montage de la Fondation ?

À cela s’ajoute le rapport Oxfam qui donne une estimation sur la base des nombreuses filiales situées dans les paradis fiscaux, le tout pour la bagatelle de 2,8 milliards d’euros. Bref, c’est une toute petite part de l’argent voléàla collectivité qui a été reversée pour Notre-Dame de Paris. Sans compter que s’extasier sur cette « générosité » est aussi un moyen pour la police de l’émotion de masquer la grande misère du budget allouépar l’État au patrimoine, sa baisse constante et, de fait, la privatisation de cette politique qui laisse aux riches le choix des monuments méritant leur aide et de ceux qui ne la méritent pas.

L’Évangile a un nom pour ce genre de comportement chez nos modernes mécènes qui font les grands cœurs devant les caméras. Il les appelle les Pharisiens. « Vous, pharisiens, vous nettoyez l’extérieur de la coupe et du plat, mais àl’intérieur vous êtes pleins d’avidité et de méchanceté ». On cite ici l’Évangile parce que c’est de circonstance et que c’est aussi un texte révolutionnaire, à sa façon.

Pour finir, la police de l’émotion vous interdit, au nom de l’union nationale, de rappeler quelque chose de pourtant avéré avec Notre-Dame. Avec elle, ce n’est pas le Moyen-Âge qui a brûlé, c’est une image du Moyen-Âge et ce n’est pas du tout la même chose : on sait que la flèche qui a brûlé, et la gargouille qui est tombée sont des invention de Viollet-le-Duc et que d’une manière générale, la Cathédrale icône du Paris touristique doit à cet architecte ami de Prosper Mérimée l’essentiel de l’apparence qu’elle a eue jusqu’à aujourd’hui. Ce Moyen-Âge qui a ému tant de contemporains est donc une reconstitution dépendant de l’historiographie et de l’esthétique de la deuxième moitiédu XIXe siècle.

Sans compter qu’on oublie au passage que d’autres trésors architecturaux disparaissent aujourd’hui sans que cela émeuve grand monde. Prenez par exemple Sanaa, la capitale du Yemen. C’est une ville médiévale qui est en train d’être rasée par les Saoudiens et, pour pimenter le tout, c’est àcause de missiles vendus par la France...