J’écris cette chronique le 15 mai, parce que je voudrais partager avec nous, chers lecteurs, le bonheur qui sera le nôtre le 19 mai. Il y a tellement longtemps qu’on l’attendait, cette réouverture des terrasses. Je n’avais pas l’impression qu’avant la Covid, on y passait notre vie, surtout dans nos départements frisquets, mais j’ai dû me tromper. Il paraît que les cinémas et quelques commerces vont rouvrir aussi mais si on se fie au bruit médiatique, la vraie révolution, c’est quand même les terrasses. Je me demande même comment on va tous y tenir, sur les terrasses. En plus, sauf erreur de ma part, il n’a pas été décidé que le 19 mai serait un jour férié. Mais il faut croire que le patronat et les administrations, dans leur immense bonté, vont laisser le monde du travail aller boire un petit café ou une bonne mousse pour célébrer l’arrivée d’une nouvelle ère. Parce que vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais la réouverture des terrasses, ça veut dire le retour au monde d’avant le virus. Le 19 mai, d’ailleurs, à 00 h 01, le virus et tous les variants obéiront au calendrier macronien : ils vont s’évaporer, terrifiés par la parole jupitérienne. Terminé la tension dans les services de réa, terminé les errements de la campagne de vaccination, terminé l’épuisement des soignants, terminé la saturation des services d’urgence. Si ça se trouve, les aides-soignants, les infirmières, les toubibs, ils vont venir aussi sur les terrasses parce qu’ils ne sauront plus quoi faire devant les lits désertés. Ah, le monde d’avant, il fait envie, non ? Cette époque bénie où Edouard Philippe faisait passer la loi sur les retraites à coups de 49/3, où la police nous protégeait des Gilets jaunes en leur arrachant une main ou un oeil par-ci par-là, où Blanquert menait une réforme intelligente et nécessaire du baccalauréat tout en nous protégeant de l’islamo-gauchisme. Ce monde d’avant où Macron, toujours très rusé, parlait la langue de l’extrême droite et faisait sa politique en invoquant les dangers de l’insécurité et de l’immigration, pour mieux l’empêcher de prendre le pouvoir. Si on se fie aux sondages pour Marine Le Pen, c’est une stratégie qui demande encore à être perfectionnée... Bon, j’espère que les chômeurs pourront aussi nous rejoindre sur les terrasses. Parce qu’on vient de leur raboter leurs indemnités dans l’indifférence la plus grande. Ce serait ballot que les chômeurs ne puissent pas nous rejoindre alors que justement, eux aussi, ils ont du temps. Ils n’ont plus d’argent mais ils ont du temps. Et comme le temps, c’est de l’argent, ils s’y retrouvent, les chômeurs. Ils ne vont pas venir se plaindre et nous gâcher la fête sur nos terrasses, ce serait un comble. Il ne faudrait pas, malgré tout, qu’on oublie de les remercier, ceux du gouvernement. Le jour des élections régionales, on quittera les terrasses et on ira voter. Ça tombe bien, dans les Hauts-de-France, on a même des ministres candidats. Cinq, rien que ça. Ce sera le moment où jamais de leur dire à quel point on les aime.