Maintenant, quand les professeurs de philosophie voudront expliquer la notion de solipsisme, ils pourront prendre l’exemple de Macron lors de sa visite à Rungis, la première qu’il a daignée accorder au monde du travail depuis le gigantesque soulèvement populaire contre la réforme des retraites. Il est vrai que c’est toujours plus facile de faire le beau à l’étranger quand ça chauffe à la maison. Le solipsiste, nous explique Schopenhauer, « c’est un fou enfermé dans un blockhaus ». On ne peut pas lui prouver sa folie. Et sa folie, c’est ce croire que ce qu’il pense est la réalité. Exemple : je pense que la Terre est plate. On pourra m’envoyer les plus grands scientifiques qui me prouveront le contraire, je n’en démordrai pas : la Terre est plate puisque moi, je le pense. À Rungis, Macron, qui devait sûrement être en proie au décalage horaire de ses voyages à l’étranger, a déclaré : « Dans l’ensemble, les gens savent que, oui, il faut travailler un peu plus longtemps en moyenne, parce que sinon on ne pourra pas bien financer nos retraites. » Voilà une phrase typiquement solipsiste. Macron le pense, donc c’est vrai. Peu importe les sondages qui montrent que plus de neuf actifs sur dix sont contre cette réforme, peu importe les manifs du 19 et 31 janvier, du 7 et 11 février qui ont fait descendre dans la rue et dans la moindre petite ville de France des millions de personnes, Macron, avec sa charlotte blanche sur la tête au milieu des bouchers de Rungis, sait que tout cela n’est qu’une illusion, un rêve, une fantasmagorie. La preuve, répétons-le, c’est que « dans l’ensemble, les gens savent que oui, il faut travailler plus longtemps » . Et si Macron sait ce que les « gens savent », c’est que c’est la vérité. Cela est à la fois comique et inquiétant. Alors, il ne nous reste qu’une seule solution. C’est le 7 mars et, espérons-le, les jours qui suivront, où nous serons encore nombreux dans un pays bloqué pour faire sortir, enfin, le solipsiste de son blockhaus.
Le Talon de Fer par Jérôme Leroy Utopie concrète
