Les dimanches du virus

par JEROME LEROY
Publié le 3 avril 2020 à 12:54

J’ai vu que beaucoup de reportages tournaient autour des week-ends en temps de confinement et de l’angoisse ainsi que de la frustration qui pourraient apparaître à cette occasion.

Le virus partage pourtant ce point commun avec le capitalisme qu’il ne connaît que le temps de la production et de la réplication à l’infini. Virus et capitalisme ne sont pas humains mais ce sont eux qui façonnent le moindre aspect de notre vie.

On pourra se reporter au livre d’Edward P. Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel (La Fabrique) ou encore au chapitre 6 de La société du spectacle de Guy Debord intitulé « Le temps spectaculaire ». Dans ces deux livres nous est rappelé que le capitalisme est aussi, depuis son apparition, un aménagement autoritaire du temps. Et que son ambition ultime est de contrôler ce que nous faisons de ce temps dans les moindres aspects de notre vie, y compris quand il nous accorde, de plus en plus parcimonieusement depuis quelques années, ce qu’il appelle des « loisirs ».

On a le droit de prendre des vacances seulement quand il nous le permet et une récente polémique autour du congé de deuil pour les salariés ayant perdu un enfant avait montré que pour le député macroniste de base, même une tragédie personnelle ne doit pas entraver la course au profit. Ce virus, décidément, se comporte exactement comme le capitalisme. Il lui est absolument indifférent que l’on soit un samedi ou un dimanche, ces jours où les êtres humains pouvaient encore se retrouver ensemble autour d’une table, ou sur les terrains de sport, sur les bancs d’un stade, sur une chaise longue à lire ou à rêver dans les parcs, dans les jardins, sur les plages. Voire de se retrouver ensemble pour discuter de la condition qui nous est faite et de nous organiser pour la changer.

Il y a quelque chose de tragicomique et d’hypocrite, de la part des médias dominants, à faire comme si cela présentait la moindre importance que nous soyons « en week-end » au temps du Covid-19. Nous n’oublions pas, nous, qu’avant le virus toutes les grandes métropoles mondialisées montraient pendant les week-ends un visage semblable à n’importe quelle autre journée de la semaine, dans le présent perpétuel de la production et de la consommation : grandes surfaces ouvertes et trafic intense. Nous n’oublions pas, nous, que beaucoup de gens, déjà, n’avaient plus de dimanche avant le virus.

Comme les soignants, justement, ou les routiers arrêtés sur les aires d’autoroute, comme les caissières ou encore comme ceux que les valets médiatiques insultaient il y a encore quelques semaines à cause de leurs « régimes spéciaux » mais qui pourtant leur permettaient en deux heures de TGV de rentrer le dimanche soir de leur résidence secondaire pour aller faire du bruit avec la bouche sur les plateaux d’info en continu et insulter les salariés, - ceux du secteur public de préférence. Nous n’oublions pas, enfin, que confiné un lundi ou confiné un dimanche, c’est toujours être confiné et que regretter les week-ends d’autrefois, c’est regretter le rêve d’un temps libre qui avait virtuellement cessé d’exister.

Comme il semblerait, en plus, que la période que nous vivons, en favorisant le télétravail et l’isolement du télétravailleur préfigure la société rêvée par nos maîtres, il n’appartiendra qu’à nous quand nous pourrons ressortir, de refuser violemment cet ordre mortifère, de dire non à ceux qui sont déjà, car l’occasion fait le larron, en train de réaménager le Code du travail au nom de l’état d’urgence sanitaire.Il faudra se battre, et pas seulement en (nous) applaudissant, mais en exigeant « le dimanche de la vie ». C’est ainsi que Hegel avait baptisé l’utopie qu’il avait entrevue quand il contemplait la peinture flamande de Breughel et quelques autres où l’on festoie joyeusement et où l’on danse dans un temps non plus libre, mais un temps enfin réellement libéré.