Ligue du LOL : les faux-culs

par JEROME LEROY
Publié le 20 février 2019 à 11:00

La ligue du LOL (de « laugh out loud », « mort de rire  » en abréviation jeune) était un groupe Facebook composé entre autres de journalistes de Libé, des Inrocks, de Télérama. Ces organes de presse ont souvent privilégié dans leur approche les questions sociétales plutôt que la question sociale. C’est leur droit d’être plus intéressé par le mariage pour tous que par un plan social ou les violences faites aux femmes que les fins de mois difficiles dans les classes populaires.

L’avantage d’être communiste, c’est qu’on ne hiérarchise pas les luttes en luttes « branchées » et luttes moins sexy pour une certaine bourgeoisie de gauche, toujours gênée quand on lui parle des pauvres. Pendant des années la Ligue du LOL, sous couvert de l’humour, s’est complu dans les pires saloperies sur le Net à l’égard des femmes, des homos, des gros, des collègues stagiaires ou précarisés. Les insultes utilisées sont dignes de l’extrême-droite la plus écœurante.

Le problème, c’est que pour l’extrême-droite, ça ne surprendrait pas. En revanche, de la part de journalistes qui le jour se comportaient en chevaliers blancs de l’émancipation pour les gays, les femmes, les migrants et comme des porcs sur les réseaux sociaux, on a l’impression d’une sacrée hypocrisie. Ou pire, on a l’impression d’apercevoir à l’état brut un certain état d’esprit qui est celui de cette gauche de moins en moins à gauche qui est passée en 2017 avec armes et bagages au macronisme dès le premier tour pour assurer une élection de maréchal à Macron au second, notamment à Paris intra-muros où il a fait plus de 90 % contre Marine Le Pen.

On peut s’en réjouir. L’antifascisme a triomphé dans la capitale. Mais si les antifascistes d’une ville à 10 000 euros le mètre carré se comportent comme des beaufs du FN ainsi que l’ont fait les journalistes et les publicitaires de la ligue du LOL, on peut sérieusement douter de la validité de cet antifascisme. Et si on précise « les 10 000 euros le mètre carré », on comprend que cet antifascisme-là est une façon confortable d’être de gauche sans se poser de questions sociales, uniquement des questions morales.

C’est tout le propos de l’excellent livre de François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise [1]. L’écrivain fait le portrait dans cet essai du bourgeois de gauche et explique très bien que dans l’expression « bourgeois de gauche  », il y a une constante et une variable : la constante, c’est « bourgeois », la variable, c’est « de gauche ».

Nous ne serons, pour notre part, jamais « cool »

Ce livre ne prend pas en compte les derniers développements de l’actualité comme les Gilets jaunes ou cette « Ligue du Lol », anecdotique mais révélatrice. Et pourtant, la grille de lecture que Bégaudeau met en place, le portrait complet qu’il fait de ce bourgeois de gauche qui domine les médias mais aussi la sphère politique depuis la victoire de Macron, permettent de comprendre pourquoi tel éditorialiste a pu, avant que la trouille ne l’ait gagné, insulter impunément dans le plus parfait mépris de classe, les prolos des ronds-points ou que tel petit marquis des pages culture des hebdos officiels de la bourgeoisie de gauche ait harcelé par Twitter une subordonnée en surpoids tout en célébrant la beauté humaniste d’un film kalmouk ou la force subversive d’un spectacle féministe.

Bégaudeau, dans Histoire de ta Bêtise, s’adresse à la deuxième personne à ce bourgeois de gauche ou plutôt qui était de gauche : « Tu es un fait idéologique total  ». Ce fait idéologique total se caractérise par ce qu’il appelle le « cool » et qui est la pire hypocrisie : « Réaliseras-tu un jour que c’est justement ce "cool" qui est haïssable ? Qu’au-delà de la violence sociale, c’est le coulis de framboise qui l’enrobe qui est obscène ? C’est l’écrin d’humanité dans lequel tu feutres ta brutalité structurelle. C’est les 20 000 euros d’indemnités pour qu’un ouvrier avale un plan social. C’est ta façon d’appeler "plan de sauvegarde de l’emploi" une vague de licenciements (...) et "modernisation d’un service public" sa privatisation. » Nous ne serons, pour notre part, jamais « cool ».

Notes :

[1A lire : Histoire de ta bêtise, de François Bégaudeau, Pauvert, 18 €