Macron, la stratégie du choc

par JEROME LEROY
Publié le 21 avril 2022 à 12:35

Dans le film Un jour sans fin, Bill Murray est condamné à revivre sans cesse la même journée. Il essaie de changer des choses pour échapper à cette fatalité temporelle, mais chaque matin, quand le réveil sonne, il comprend que cela va recommencer comme la veille, à quelques détails près. C’est exactement l’impression que ressentent les électeurs de gauche aujourd’hui. Le même scénario à cinq ans d’intervalle : le choix entre Macron et Le Pen. Et le même vote, presque obligé parce que plus moral que politique, pour Macron alors qu’on sait ce que fut ce quinquennat. Et que de l’autre côté, Marine Le Pen serait pire même si j’aimerais bien qu’on ne me prenne pas pour un môme en m’expliquant qu’elle est fasciste alors qu’elle est un Orbán ou un Trump en puissance, ce qui n’est pas non plus Mussolini ou Pinochet. Pas besoin de jouer « aux heures les plus sombres » pour savoir que ce serait encore plus dur pour les plus fragiles, immigrés, racisés et pour les militants syndicaux, les travailleurs sociaux, les ONG s’occupant des migrants… En même temps, la répétition de ce scénario interroge. Quand on votera Macron, il ne faudra pas oublier qu’on vote pour quelqu’un qui a méthodiquement construit cette opposition factice en faisant monter l’extrême droite par une complaisance jamais démentie pour son idée et ses méthodes. Et que je ris avec de Villiers en public, et que je te téléphone à Zemmour, et que je te visite Raoult en pleine pandémie, et que je te fais voter des lois « asile et immigration » ou contre le « séparatisme », et que je lance des croisades anti-woke et anti-islamogauchiste dans les facs en pleine pandémie alors que les étudiants pauvres crèvent la dalle. Et que je te réprime avec une férocité policière sans précédent le mouvement des Gilets jaunes et contre la réforme des retraites. Il faut donc savoir, quand on votera Macron, qu’on est quand même condamné à voter pour le médecin qui a inoculé la maladie. Comme tous les ultra-libéraux, Macron a besoin d’un choc pour passer et cette fois-ci, il espère bien qu’il n’y aura ni Covid ni guerre pour mener à bien son projet thatchérien. Cette stratégie du choc, c’est Naomi Klein qui l’expliquait dans un livre qui porte ce titre : elle théorise brillamment que pour imposer la destruction massive des anciennes solidarités et de la vie non-marchande, l’ultra-libéralisme a besoin d’avoir recours à des chocs. Elle s’attardait particulièrement sur Reagan et Thatcher, sur la destruction des syndicats aux États-Unis et en Grande-Bretagne, sur la guerre aux Malouines ou la victoire sanglante contre les mineurs du Yorkshire en 1984. Elle montrait que le coup d’État de 73 au Chili contre Allende, en jouant sur la peur du communisme, a permis l’instauration par les Chicago boys du premier système ultra-libéral. On peut y rajouter depuis la manip constitutionnelle de Sarkozy en 2010 pour faire passer le TCE malgré le referendum de 2005 et le coup d’État bancaire en Grèce de la troïka, en juillet 2015 pour mettre à genoux un gouvernement de gauche radicale, celui de Tsípras. Le choc construit par Macron, c’est Le Pen. Il va passer deux fois grâce à elle, avec une légitimité renforcée par nos votes. Ça va mieux en le disant, tout de même, et ça console un peu d’être pris pour des billes.