Sonia Mossé, la météorite blonde

par JEROME LEROY
Publié le 11 novembre 2022 à 12:27 Mise à jour le 8 novembre 2022

Sonia Mossé était une grande blonde, massive, au corps «  un peu plantureux  » d’après Beauvoir, toujours peste dans son genre. Elle était plutôt walkyrie que tanagra, ironie du sort pour cette juive française qui est morte d’être juive. Je n’avais jamais entendu parler de Sonia Mossé ni de sa courte vie (1917-1943). Je n’avais jamais entendu parler de son humour, de son amour des femmes, de son art d’être là où il faut quand il faut dans le Paris électrique des années trente, l’époque où Hemingway avait décrété que cette ville était une fête, où l’on croisait les surréalistes et les communistes (c’étaient souvent les mêmes), Artaud et Aragon, et puis Cocteau, et puis Paulhan, tous des intimes à des degrés divers de cette météorite suave et dorée qui a eu le temps d’être un peu comédienne, un peu mannequin, un peu dessinatrice et maitresse de cérémonie dans le cabaret de son amante, Agnès Capri qui récitait Prévert et Morhange.

Il a fallu, pour que je rencontre cette inoubliable silhouette, Gérard Guégan, archéologue des révolutions esthétiques et politiques, des crises ouvertes et des plaies inguérissables du siècle dernier. Mais Guégan étant un écrivain de première classe, il sait transformer ses découvertes en films noirs menés à un train d’enfer : des chapitres courts qui se succèdent comme dans un séquencier de scénariste. Intérieur nuit, extérieur jour, beaucoup de dialogues, reconstitution minimaliste et efficace d’une époque. Un behaviorisme sentimental, un comportementalisme presque sensuel. C’est la même méthode utilisée dans plusieurs de ses livres récents : « Qui dira la souffrance d’Aragon ? » «  Tout a une fin, Drieu ! », « Hemingway, Hammett, dernière  », «  Fraenkel, un éclair dans la nuit ». L’air de rien, Guégan a inventé un genre : la fiction biographique considérée comme course d’obstacles On suit donc avec «  Sonia Mossé, une reine sans couronne  », le passage de quelques personnages considérables dans une assez courte unité de temps qui mène d’un rôle dans Les Cenci d’Artaud en 1935 à une arrestation en 1943 par la police française avant la disparition dans la nuit et le brouillard. L’intelligence de Guégan, c’est avoir choisi celle qui fut une silhouette dans la réalité pour en faire le personnage principal.

Là est son travail purement romanesque, dans cette recomposition du passé. Sonia lui permet de mettre en valeur les vraies lignes de forces de la période : la liberté sexuelle naissante, -le trio Eluard, Nus, Sonia et la photo des deux femmes par Man Ray-, la révolution dans l’imaginaire et la perception- la folie d’Artaud le Momo comme l’exposition surréaliste de 38 avec l’unique oeuvre de Sonia, un mannequin maquillé-, le retour à l’ordre pétainiste qui fait de sa politique antijuive précoce le premier marqueur de son ordre nouveau. Sonia, elle, avec son physique aryen, jouera avec le feu jusqu’à la fin, refusant obstinément de porter l’étoile jaune ou de se cacher, restant à Paris et mangeant chez Lipp avec des officiers nazis à la table d’à côté. C’est ce feu-là que restitue parfaitement Guégan. On le remerciera, par les temps qui courent, de nous réchauffer l’âme de cette manière.

  • Sonia Mossé, une reine sans couronne de Gérard Guégan, Editions le Clos Jouve.