Tout s’est passé comme prévu

par JEROME LEROY
Publié le 26 avril 2022 à 18:44

Finalement, tout se passe comme prévu et la réélection de Macron semble faire écho à ce vers de Mallarmé : « Rien n’aura eu lieu que le lieu. » Le lieu, c’est la France qui se retrouve cinq ans après avec le même jeune président, ou à peine moins jeune. Il y aura eu pendant ces cinq dernières années une crise sociale sans précédent avec les Gilets jaunes et une pandémie digne d’un scénario dystopique mais, oui, c’est comme si rien n’avait eu lieu. On nous explique que jamais l’extrême droite n’a été aussi forte, que Marine Le Pen a fait un score historique. Et alors, serait-on tenté de dire ? Ce qui compte, ce n’est pas de participer, c’est de gagner. On n’est pas aux Jeux olympiques, on est dans la Ve République. Avec le temps, la Ve République est devenue cet étrange régime politique qui laisse pour cinq ans les clés du pouvoir non pas dans la boîte à gants comme le disait le regretté Frédéric Dard, mais dans les mains d’un seul. Les commentateurs politiques ou médiatiques, hier soir, étaient là pour nous donner l’impression qu’on vivait un moment historique. Enfin, rendez-vous compte, le seul président réélu, hors période de cohabitation ! Hors cohabitation, vraiment ? Je crois au contraire que ce président, à défaut d’opposition, a dû cohabiter avec un peuple tout entier qui ne l’aime pas, qui a même parfois été jusqu’à le détester si on excepte le petit quart des électeurs qui forme son socle de gens à l’aise avec leurs fins de mois. Mais, dans cette merveilleuse Ve République, ça suffit à faire une majorité. Par quel miracle alchimique et arithmétique ? Il vous faut juste un ennemi, un repoussoir, un contre-exemple. Marine Le Pen, toujours prête à se dévouer, joue ce rôle avec le sourire depuis une grosse décennie. Le Malraux gaulliste des Antimémoires écrivait : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien. » Aujourd’hui, c’est entre le macronisme et le lepénisme qu’il n’y a rien. La tenaille qui s’était mise en place en 2017 a achevé son travail en 2022. Et comme dans la Ve République, toujours elle, qui depuis la coïncidence de la présidentielle et des législatives, réduit à rien les scrutins intermédiaires, les faits sont têtus, on a rendez-vous tous les cinq ans avec les mêmes : un libéral qu’on n’aime pas mais qu’on préfère quand même à la populiste xénophobe. Je serais joueur, je prendrais les paris pour la finale de 2027 avec un second tour aux petits oignons entre Édouard Philippe et Jordan Bardella. Tout ça est finalement d’une grande tristesse qui pourrait assez vite se transformer en colère quand, comme d’habitude, Macron aura oublié en 48 heures que ses 18 779 641 voix ne sont pas des groupies dépoitraillées, folles de joie à l’idée de travailler jusqu’à 65 ans en attendant comme Danaé la pluie d’or du ruissellement envoyée par Jupiter. À moins, bien sûr, que les prochaines législatives ne changent la donne. On va y croire. Bien fort.