Ubu-Trump, derniers jours

par JEROME LEROY
Publié le 18 décembre 2020 à 11:38

« Que tout meure avec moi, non, que tout reste après moi. Non, que tout meure. Non que tout reste. Non, que tout meure, que tout reste, que tout meure. » Ainsi parle Béranger Ier dans Le roi se meurt de Ionesco. Il y a du Béranger chez Trump dans sa manière de nier contre toute logique la mort, certes symbolique, que représente sa défaite. Sa volonté d’exercer le pouvoir jusqu’à la fin se retrouve dans un autre roi de théâtre, le Père Ubu d’Alfred Jarry qui est un des premiers à montrer ce que Pasolini appellera, à propos de son film Salò, « l’anarchisme du pouvoir », c’est-à-dire la négation de toutes les règles et de toute décence. Trump en a donné des exemples récents qui transforment sa défaite en acte III d’Ubu Roi quand celui-ci envoie à la trappe les nobles, les financiers et à la fin les magistrats eux-mêmes :

Les magistrats : Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.
Père Ubu : A la trappe les magistrats ! (Ils se débattent en vain.)
Mère Ubu : Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?
Père Ubu : Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.

Trump limoge ainsi son ministre de la Défense le 9 novembre, c’est-à-dire après l’élection perdue. Et quand il est ensuite désavoué par son ministre de la Justice, William Barr, après la déroute judiciaire de Giuliani, il fait aussi démissionner Barr. On aura même vu, dans une surenchère typiquement ubuesque, un avocat de Trump demander implicitement l’exécution de Chris Krebs, le responsable des élections limogé (encore un !) par Trump. « Quiconque pense que l’élection s’est bien passée, comme cet idiot de Krebs, devrait être arrêté et écartelé. Sorti à l’aube et abattu » a ainsi déclaré, tout en douceur, Joseph diGenova qui aurait aussi bien pu entonner « La chanson du décervelage », l’hymne préféré du Père Ubu :

Nous allions voir le décervelage
 
Ru’ d’l’Échaudé, passer un bon moment.
       
Voyez, voyez la machin’ tourner,
       
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
    
Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

Trump, allant au bout de sa folie, a d’ailleurs ordonné, pour terminer son mandat, toute une série d’exécutions capitales alors que la tradition veut que dans cette période de transition, le président vaincu les suspende. Il semble que les institutions américaines aient tenu le choc, ce qui relève du miracle quand on voit Ubu-Trump encourager en sous-main la fraction la plus dure de son électorat, composée de milices racistes et armées, à manifester, l’artillerie en bandoulière. Trump est bien un président pour une année aussi effrayante que 2020. Il y a entre lui et la Covid une étrange parenté. Il est aussi dangereux que le virus qui a changé nos vies, il l’a même accompagné au point d’en être contaminé. Et il va vite falloir trouver aux USA comme en Europe, de nouveaux gestes barrière démocratiques. Parce que si Trump finira bien par s’en aller, le trumpisme, lui, restera. À nous d’éviter une deuxième vague…