Une saison en Atlantide
ll fait beau.Il y a des portraits de Brejnev à l’entrée du quartier réservé aux maisons Mittel Europa. Le secrétaire général a commencé sa carrière en Moldavie.L’Église catholique est fermée, ma mère m’avait demandé de vérifier, (tendance Témoignage chrétien).Mes amis s’appellent Auguste Naouki et Violetta Moldovan.La Moldavie ressemble aux coteaux du Beaujolais, le vin moldave, lui assez peu au Morgon.Auguste lit Eminescu et Essénine.Auguste me parle de la Pologne qui bouge, des Américains qui boycottent les JO de Moscou, les salauds.Les livres ne coûtent presque rien.Violetta parle le russe, le moldave, le roumain, le français. Violetta a dix-sept ans, Violetta est brune. Violetta a un gilet orange comme jamais je ne verrai plus de gilet orange.Je comprends les articles de Ogoniok et de la Komsomolskaïa Pravda.Auguste joue aux échecs. Je ne le battrai qu’une fois. Je crois qu’il m’a laissé gagné. Gentillessesoviétique, courtoisie latine.La maison du père de Violetta ressemble à un chalet balnéaire de la côte normande, dans une avenue blondinienne, calme et profonde comme un cimetière.Les Pobiéda roulent en silence. Auguste et Violetta ont le droit d’aller avec moi au Beriozka de l’Intourist.On achète des Marlboro et du chocolat. Moi, je m’obstine à m’arracher les lèvres sur le carton des papirosses et à tousser : je fumerai communiste, quoi qu’il m’en coûte.On a du mal a écraser les carrés de sucre dans les verres de thé.Un soir, je suis très saoul. L’odeur de pinède du jardin de Violetta m’empêche de vomir.On entend l’hymne soviétique qui vient d’une télé à l’intérieur : il est minuit.Je pleure comme un veau quand Violetta m’embrasse une dernière fois sur le tarmac de l’aéroport. « Mé jiviom v raznire planétare » dit-elle. Gilet orange.Portrait de Lénine.Une édition bilingue d’Eminescu donnée par Auguste.L’Atlantide, mais oui, c’était l’Atlantide.