L’affaire Dupont-Moretti

par Philippe Allienne
Publié le 23 juillet 2021 à 10:57

L’ancien ténor du barreau, appelé « Acquittator  » du temps où il plaidait avec la verve qu’on lui prête, et l’ancien homme de théâtre, a oublié de signaler, dans sa déclaration d’intérêt, quelque 300 000 euros tirés de ses droits d’auteurs. Cette déclaration est une vérification fiscale à laquelle doit se soumettre tout ministre en lien avec le fisc, sous le contrôle de la haute autorité pour la transparence de la vie publique. Or, cette dernière vient d’annoncer qu’elle n’allait pas transmettre cet « oubli  » à la justice. Elle estime en effet que l’omission du garde des Sceaux (il s’agissait de ses revenus de 2018 et 2019) n’a pas de « caractère intentionnel  ». Dont acte. Mais le ministre, nommé le 6 juillet 2020, n’en est pas quitte pour autant. On sait que dès sa nomination, la magistrature s’est vivement émue et a crié à la « déclaration de guerre ». Ni plus, ni moins. Dès lors, il semble que tout a été fait pour le décrédibiliser et, au final, le faire partir. Dur combat pour les magistrats. Il est à cet égard intéressant de lire et de prendre en compte ce qu’en dit un autre avocat, honoraire, Régis de Castelneau. Ce dernier, qui ne peut être soupçonné de porter Éric Dupont-Moretti dans son cœur, relève dans son blog « Vu du droit » que la magistrature s’est immédiatement « cabrée contre la nomination d’abord d’un avocat, ensuite de quelqu’un qu’elle déteste. » Il souligne le manquement au devoir de réserve auquel sont en principe tenus les magistrats. Mais comme Éric Dupont-Moretti n’a pas été éjecté du gouvernement (le président Macron continue d’ailleurs de le soutenir), les organisations syndicales de la magistrature ont déposé des plaintes pour « prise illégale d’intérêts ». Or, il faut, pour que la plainte soit recevable, que l’agent public en cause, en l’occurrence le ministre de la Justice, « ait eu la surveillance et l’administration d’une affaire dans laquelle il a en même temps et concomitamment un intérêt privé. » « C’est l’exemple du maire qui es-qualité, attribue un marché public à une entreprise privée dont sa femme serait gérante », explique Régis de Castelnau.. Éric Dupont-Moretti, objet d’une enquête préliminaire du Parquet national financier, a lui-même déposé plainte. Mais il l’a retirée lorsqu’il est devenu ministre. Il n’est donc plus concerné en tant que personne privée par une procédure à venir. D’autres exemples vont dans ce sens et on ne trouve pas la concomitance requise pour que la plainte aille au bout. L’ex-avocat le sait et c’est sans doute pour cela qu’il demeure serein. Mais les magistrats qui le poursuivent ne peuvent eux-mêmes l’ignorer. Que dire alors du cas Dupont-Moretti et des poursuites contre lui ? il a écrit un livre dans lequel il dénonce trente années de dérive de la justice et intitulé : « Une justice politique. Des années Chirac au système Macron, histoire d’une dérive ». C’est là que la question peut se poser : n’assiste-t-on pas aux conséquences de cette dérive où la magistrature estime être en droit d’affirmer son pouvoir sur le politique et la nomination d’un ministre ?