« Mayenne. La joggeuse de 17 ans disparue a été...

par Philippe Allienne
Publié le 18 novembre 2021 à 22:10

« Mayenne. La joggeuse de 17 ans disparue a été retrouvée vivante. » Si nous étions cyniques, nous pourrions croire que ce titre de journal cachait un dépit. 24 heures plus tôt, le 8 novembre, la jeune fille était partie courir en forêt, près de son village de Saint-Brice, en Mayenne. Le soir, elle n’était pas reparue et son père avait donné l’alerte. Environ 200 policiers avaient été mobilisés pour la rechercher. Les indices retrouvés n’incitaient guère à l’optimisme. Finalement, la jeune fille refait surface, visiblement choquée. Elle raconte une histoire de kidnapping, de voiture verte, de maison où elle aurait été séquestrée, puis d’évasion. Un homme sera interpellé et placé en garde à vue avant d’être mis hors de cause. La fièvre s’empare de l’affaire. Le soupçon d’affabulation, de faux enlèvement, de mensonge, va vite transparaître. Durant les investigations des enquêteurs, celle que l’on présentait comme une victime se mue en simulatrice coupable. Jusque-là, les journalistes ne savent rien. Au village, la peur s’est déjà installée. Tous les ingrédients d’un vilain polar semblent réunis pour tenir le citoyen en haleine. Et puis, le pot aux roses est découvert. Pas trop difficilement puisque l’adolescente avoue avoir tout inventé. Que s’est-il réellement passé ? Les journalistes ne savent pas. Mais ils causent. Lisa (c’est son prénom) n’avait visiblement aucun problème au lycée, ni dans sa famille. Discrètement, on souligne qu’elle aurait subi un traumatisme dans son enfance. À la suite, peut-être, d’un cambriolage au domicile familial. Mais on assène des chiffres : 7 500 euros d’amende et jusqu’à six mois d’emprisonnement. C’est ce dont est passible la jeune fille si elle est reconnue coupable de « dénonciation d’infraction imaginaire ». Voilà. La victime qui attirait la compassion de tout un pays (c’était au moins le souhait de journalistes trop pressés) devient une sale petite délinquante irresponsable. À aucun moment il n’a été réellement question de comprendre. On n’a eu de toute façon ni le temps, ni les moyens. Jusqu’à nouvel ordre professionnel, un journaliste n’est pas un expert-psychiatre. Mais une adolescente, un petit village, des gens apeurés restent les ingrédients faciles d’un journalisme superficiel oubliant qu’il revient à la justice de juger. À l’heure où la profession de journaliste se plaint (avec juste raison) d’être détestée, une telle affaire traitée de cette manière par certains médias, ne saurait arranger cette défiance. En matière d’information, qu’il s’agisse de faits divers ou non, la vigilance et la rigueur doivent s’imposer tout le temps. Et ces lignes d’Émile Zola, écrites en 1888, reviennent cruellement : « Mon inquiétude unique devant le journalisme actuel, c’est l’État de surexcitation nerveuse dans lequel il tient la Nation. Aujourd’hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. Quand une affaire est finie, une autre commence. Les journaux ne cessent de vivre dans cette existence casse-cou. Si les sujets d’émotion manquent, ils en inventent… » À défaut de savoir réellement, il eut fallu ficher la paix à la jeune Lisa qui, sauf élément nouveau, n’avait l’intention de nuire à personne.