Piraterie aérienne et vérité en suspens

par Philippe Allienne
Publié le 28 mai 2021 à 11:39

C’est très clair, l’interception de l’avion de Ryanair qui transportait l’opposant Roman Protassevitch est aussi choquante qu’insupportable. L’armée de l’air biélorusse, et par-delà le pouvoir d’Alexandre Loukachenko, a commis un acte de piraterie aérienne, défiant le droit international et, bien évidemment, la communauté internationale dans son ensemble. À coup sûr, Vladimir Poutine, le maître du Kremlin, n’avait pas besoin d’une telle initiative de son encombrant allié. Mais la géopolitique le veut ainsi. Alors que les États occidentaux protestent à tout va, alors que les chefs d’État et de gouvernement décident, avec une rapidité inhabituelle, de s’accorder pour fermer l’espace aérien et leurs aéroports aux appareils biélorusses, la réaction de la Russie intervient sans surprise. 24 heures après l’arrestation de Roman Protassevitch et de sa compagne Sofia Sapega, le ministère russe des Affaires étrangères se dit lui aussi « choqué ». C’est sa porte-parole qui le fait savoir. Maria Zakharova affirme bien être « choquée ». Mais par les réactions occidentales. Que fallait-il attendre d’autre quand on connaît l’état des relations entre Moscou et les capitales occidentales ? Des questions hyper sensibles comme le rattachement de la Crimée ou la guerre du Donbass n’en sont que plus ravivées. Le Kremlin a alors beau jeu de rappeler l’atterrissage forcé de l’avion d’Evo Morales, le président bolivien, qui en 2013 avait dû se plier à l’injonction qui lui avait été faite au motif qu’il survolait des terres interdites à son pavillon. En réalité, cet atterrissage avait été décidé parce qu’on le soupçonnait de transporter le lanceur d’alerte Edward Snowden. Dans le cas qui nous préoccupe, la Biélorussie invente un prétexte de risque terroriste pour, sans autre façon, procéder à l’arrestation d’un opposant qu’elle accuse par ailleurs... de terrorisme. On rappellera par ailleurs à la France qu’en son temps, le 22 octobre 1956, Paris n’avait pas hésité à détourner le DC3 de la compagnie Air Atlas-Air Maroc qui transportait six membres du FLN algérien : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Lacheraf, Mohamed Khider et Mohamed Boudiaf. Parmi eux, Ahmed Ben Bella (qui a fait six ans de prison en France) est devenu le premier président de l’Algérie indépendante. Mohamed Boudiaf a été appelé à la tête de ce pays en janvier 1992 avant d’être assassiné six mois plus tard. Étaient-ils, eux et leurs compagnons, des terroristes ? C’est ce que Paris affirmait. Edward Snowden est-il un terroriste quand il fait peur aux pouvoirs occidentaux ? Qu’en est-il du jeune journaliste Roman Protassevitch ? Être opposant au régime de Loukachenko n’est pas forcément un gage de moralité. La toile internet abonde d’images le montrant en train de faire le salut fasciste (ou nazi) et coiffé d’un casque SS. Il se dit qu’il serait membre de l’organisation ultra- nationaliste « Young front » à laquelle ni les États-Unis, ni l’Union européenne ne semblent vouloir le moindre mal, bien au contraire. Info ou intox ? En tout cas, l’Union européenne, prompte à châtier le pouvoir biélorusse, ne semble pas se poser la question. Pas plus que la presse qui n’en peut plus de dénoncer l’acte de piraterie aérienne...