Après l’invitation de (feu) Daniel
Bilalian au JT de France 2, en sa
qualité de ministre de la Culture et
de la Francophonie - qui dépendait
avant lui des Affaires étrangères, Jacques Toubon
sera pêle-mêle ministre de la Justice, député européen, observateur d’élections présidentielles
congolaises assurant à Denis Sassou N’guesso un
score chiraquien, auteur d’un (seul) livre, président du conseil d’orientation de la Cité nationale
de l’histoire de l’immigration, Défenseur des
droits. Tout ça avec un physique, raillé mais trompeur, de sympathique boucher-charcutier - l’imaginer en tablier rougi et pantalon à petits carreaux
blancs et bleus.
En 1994, ministre seulement
depuis un an, Jacques Toubon passe au JT. Enfin !
Ce juriste, science-potard et énarque, fait tout
avec un peu de retard. Marié jeune, il n’est
devenu un autre homme qu’avec sa seconde
femme, épousée en 1982 - une artiste qui, dit-on,
l’influença lors de son passage « rue de Valois ».
Songez que pour faire scandale à cause de ses
émoluments, il lui faudra attendre 2019 et une
malheureuse combinaison de retraites.
Si, au
début des années 1980, il a répondu à l’invitation
du Club de l’horloge, laboratoire intellectuel droitard, c’était quinze ans après les Longuet, Madelin et Devedjian ! Question subsidiaire : avoir milité
à l’extrême droite accèlèrerait-il les carrières ? Il
n’y a que pour sa loi que Toubon n’a pas traîné.
Votée en février 1994, appliquée en 1996, elle
s’inscrit dans le cadre de la défense de l’exception
culturelle et de la signature du traité européen de
Maastricht, en 1993, et illustre une volonté partagée – on est en cohabitation - de lutter contre
« l’invasion anglo-saxonne ».
La loi « all good » (tout bon), présentée comme un
gadget anti-franglais, va changer le cours de l’histoire de la musique française en donnant un formidable coup d’accélérateur à celle d’un rap
embryonnaire.
Imposant aux radios privées de
diffuser 40 % de créations françaises aux heures
de grande écoute, elle amène Skyrock à changer
de son - mais pas de nom. Les chanteurs de variétés n’ayant pas survécu au clip-vidéo, la pop et le
rock hexagonal ayant été des vues de l’esprit, l’armée musicale de France manquait de soldats
pour conquérir les ondes !
Et il y avait le rap... En 1984, encore publique,
TF1 avait lancé « H.I.P.-H.O.P. » Ça avait assez
marché pour marquer, pas pour durer. La nouvelle chaîne musicale privée M6 misa sur
« Rapline » en 1990. Arrêtée sans raison un an
avant la loi Toubon ! Puis Skyrock devint « 1
er
sur
le rap » - avec en featuring
1
le malaise social, les
bavures policières, la relecture du passé colonial
et une sous-culture banlieusarde revendiquée.
Les ventes explosèrent.
Fort de quelques dizaines
de groupes et artistes plus ou moins amateurs au
début des années 1990, le rap s’est imposé
comme la musique française la plus vendue. La
variété d’aujourd’hui.
Paradoxe apparent, c’est en prétendant protéger la
langue française que Jacques Toubon a permis à
de nouveaux « yéyés » d’importer un pan entier
de culture américaine.
Grégory Protche