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Exégèse des lieux communs médiatiques

Le 19 mars 1980, Antenne 2 invente l’artiste engagé énervant

Publié le 13 décembre 2021 à 11:03

Début des années 80. Le chanteur énervant du PAF, c’est Renaud. Qui souvent exagère : « Ils oublient qu’à l’abri des bombes, / Les Français criaient vive Pétain, / Qu’ils étaient bien planqués à Londres, / Qu’y avait pas beaucoup de Jean Moulin » (Hexagone, 1975) ; « La médecine est une putain, / Son maquereau, c’est le pharmacien » (Étudiants, poil aux dents (1981) ; « Écoutez-moi, vous les ringards, / Écologistes des grands soirs, / La pollution n’est pas dans l’air, / Elle est sur vos visages blêmes » (Amoureux de Paname, 1975) ; « Y’a celui que les voisins / Appellent « le communiste. / Même que ça lui plaît pas bien, / Il dit qu’il est trotskiste » (Dans mon HLM, 1980) ; « L’information pour ces mecs-là, / C’est d’effrayer l’prolo l’bourgeois, / À coups d’chars russes, d’Ayatollah, / « Demain faites gaffe y va faire froid » (J’ai raté Téléfoot, 1981)... Qu’on se rassure, sous peu il va signer chez Virgin. Et laisser choir - comme (presque toute) la gauche - l’austère social ouvriériste au profit du séduisant et flatteur sociétal. De la fictive, paternelle et déchirante Chanson pour Pierrot, à l’autobiographique, anecdotique et parentale Morgane de toi. Il achève sa mue par l’achat de pages dans la presse appelant Tonton à ne pas laisser « béton » en 1988. Bien qu’ils fussent tous deux nés en 1952, ce 19 mars 1980, durant le journal de 13 heures, pour interpeller le futur candidat socialiste à la présidentielle de 1981, François Mitterrand, le jeune artiste énervant choisi - par qui ? -, ce n’est pas Renaud mais l’interprète de l’admirable (et égotique) Le chanteur, Daniel Balavoine. Les deux ont en commun d’avoir cru en Mai 68. Renaud l’a chanté (« Une révolution manquée qui faillit renverser l’histoire »). Balavoine, déçu, s’est mis à chanter dans les bals. Puis dans des comédies musicales. 13 heures presque 30. Mitterrand se fait à l’idée qu’il est trop tard pour échanger avec « le jeune ». Qui s’agite et menace : « J’aurai le temps, une minute, de m’énerver, et de paraître pour un petit merdeux et pour un petit jeune de plus qui fout la pagaille. Je préfère m’en aller tout de suite. » Mais reste. Pourquoi ? Parce que « Papa » Mitterrand le lui ordonne : « Revenez. Et parlez tout de suite. » Balavoine de se rassoir et de lister fébrilement ce dont la jeunesse, par son canal, aurait aimé entendre causer... (plutôt que, « pendant 10 minutes », du passé de Georges Marchais, le « secrétaire général » du PCF, alors victime d’une campagne de dénigrement - pas faite, par ailleurs, pour déplaire à Mitterrand). Version yéyé de la sortie de Maurice Clavel, le lieu commun médiatique est acté : la légende - le petit nom des documentaires historiques et autres best of - ne retiendra que le coup de sang. Culte. Et (la bêtise de) Balavoine déplorant qu’aucun ministre de la Jeunesse ne lui ressemble, n’ait à son instar les cheveux longs et un blouson - comme si droitards et roycos ne savaient pas eux aussi être rock’n’roll. Même pas un tiers de la séquence complète. Dommage. La liste de sujets ébauchée par le chanteur alléchait... La « redistribution » par le maire coco de Bagnolet... La direction socialiste de la mairie de Marseille par Gaston Defferre... Le Premier ministre Raymond Barre, qui ne baisse pas les salaires mais augmente les cotisations de sécu... Les noms de ceux qui osent louer des taudis aux travailleurs immigrés... Pourquoi l’ancien ministre Boulin s’est suicidé ou a été suicidé... Pourquoi l’ancien ministre Fontanet a été assassiné... Pourquoi l’affaire de Broglie n’a jamais été « éclaircie  »... Pourquoi le juge Renaud... Nous aussi, on voudrait bien savoir. 31 ans que ça dure !

PS : depuis décembre 2013, sur YouTube, il y a la séquence complète. Elle a déjà été vue 2 142 444 fois. Peut-être qu’à force il se trouvera, à la télé, une émission pour la rediffuser, enfin, dans son intégralité. En apportant des réponses aux énigmes et affaires évoquées.