Le jour où Jean Genet est mort à la place d’Édouard Balladur

Publié le 28 septembre 2019 à 14:21

15 avril 1986. La droite a gagné les législatives de mars mais toutes les têtes de gauche ne sont pas tombées : Claude Sérillon présente le 20 h sur Antenne 2 -on dit aujourd’hui « France 2 »- et plus personne ne tient Sérillon pour quelqu’un de gauche. La musique du générique sonne comme les premières mesures de C’est comment qu’on freine, d’Alain Bashung, sur l’album Play blessures, en 1982. Première mesures utilisées par Serge Leroy dans le film Le Quatrième pouvoir, en 1985, comme générique d’un JT présenté par la troublante Nicole Garcia. Les titres. Sérillon débite.

« USA – Libye, l’escalade. Bombardement par l’aviation américaine ce matin à Benghazi. Action de légitime défense (lol) pour les États-Unis, désapprouvée par une partie des pays européens. La France a refusé le survol de son territoire par les bombardiers américains. Les Libyens ont attaqué des installations américaines près de la Sicile. Le colonel Kadhafi est vivant. Une demande de cessez-le feu libyenne serait formulée ». Si, si, on est bien en 1986. Où est-ce sur une carte « près de la Sicile » ? Et ces « installations près de la Sicile », des navires de guerre ? Pas clair.

« Terrorisme – Le CNPF menacé. Le vice-président du Conseil national du patronat français Guy Brana sort indemne d’un attentat perpétré devant son domicile. » En ce temps-là, le terrorisme était politique et souvent ciblé - même si l’attentat aveugle avait ses adeptes.

« Balladur – Les premières réformes. Les prix, la fiscalité, le calendrier de la politique économique du nouveau gouvernement. M. Édouard Balladur, ministre d’État, ministre de l’ Économie et des finances et de la privatisation, invité de cette édition. » La privatisation avait droit à son ministère.

« Jean Genet – La fin d’une révolte. L’écrivain Jean Genet est mort. Il était âgé de 75 ans. Une carrière de poète, d’homme de théâtre, marquée par des scandales... et des rejets. » Une « carrière » ? Un destin, plutôt ? Les « scandales », c’est pour Les Paravents, qui occasionnèrent des manifs droitardes et militaires à l’Odéon où la pièce se jouait en pleine guerre d’Algérie. Des « rejets », le terme est fort – il annonce ceux dont usera ignoblement Antoine Spire pour enterrer Genet sous les accusations d’antisémitisme, suite au posthume Un Captif amoureux.

« Aujourd’hui, mardi 15 avril 1986, les otages français détenus au Liban, Marcel Carton, Marcel Fontaine, Michel Seurat, Jean-Paul Kaufmann, et l’équipe d’Antenne 2, Philippe Rochot, Georges Hansen, Aurel Cornéa et Jean-Louis Normandin n’ont toujours pas été libérés. »

Même si surYoutube, via l’INA, ce JT est annoncé comme étant celui de la mort de Jean Genet, le sujet sur lui durera à peine une minute. Dans un monde idéal, Jean Genet eût été invité du JT et on aurait rapidement évoqué « la disparition » d’ Édouard Balladur. Genet avait tant à dire sur la Libye et sur le terrorisme d’extrême-gauche. Voir son entretien, trouvable sur youtube, avec Bertrand Poirot-Delpech en 1982. Et relire son admirable tribune La Violence contre la brutalité.