Algérie : où en est la gauche ?

Par Kamel BENCHEIKH

Publié le 28 août 2020 à 14:13

Il faut indiquer, dès le début, que c’est le même régime qui gère l’Algérie depuis le 5 juillet 1962, date de l’indépendance du pays. Le FLN, qui regroupait l’ensemble des résistants contre la colonisation, était un cartel qui partait des militants marxistes jusqu’aux tenants du conservatisme religieux le plus rétrograde. Dès la prise de pouvoir par Ben Bella, le Parti communiste algérien (PCA) a été interdit. La répression s’intensifie contre ses militants après le coup d’État militaire de Boumédiène. Le PCA donne naissance au PAGS. Bien que ses partisans étaient mis massivement sous les barreaux, le PAGS apportait son soutien critique au régime des colonels du fait de « l’orientation progressiste » du pouvoir. De 1962 jusqu’en 1989, le FLN, qui se donnait une légitimité révolutionnaire au vu de la guerre menée contre l’occupant, s’est octroyé le titre de parti unique. Par la suite, le multipartisme a fait son apparition. Et la décennie noire, pendant laquelle 200 000 citoyens ont été massacrés, a mis à feu et à sang tout le pays. Bien que légalisé, le PAGS, est devenu totalement invisible dans le champ politique.

Face à l’apparition du FIS qui engrange des victoires électorales, le PAGS se disloque en différentes entités qui vont du FFS de Hocine Aït-Ahmed au MDS d’El Hachemi Chérif et au PADS de Abdelhamid Benzine. L’apparition du FIS, avec les milliards de dollars déversés par les monarchies du Golfe, et la dislocation de l’Union soviétique ont eu raison du mouvement communiste algérien. La guerre entre le régime des militaires et les islamistes n’a pas permis aux mouvements de gauche de proposer une solution de paix et de s’intégrer dans un dynamisme de pacification. Depuis la fin de la guerre civile, les partis ne se définissent pas idéologiquement. Le manichéisme est désormais de rigueur. Soit les partis se caractérisent comme étant d’obédience islamiste soit ils sont perçus comme démocrates et républicains.

Le plus dur à digérer pour les partis algériens qui se situent à gauche de l’échiquier politique, c’est que les intégristes islamistes aient pu engranger des points en se situant justement pile poil dans les positions traditionnelles de la gauche, en défendant la veuve et l’orphelin. En distribuant des cargaisons entières de sacs de semoule, acheminées depuis le Qatar, les islamistes ont fait leur beurre sur le dos de l’ancien PAGS en se déclarant défenseurs des besogneux, des défavorisés et des va- nu-pieds. La différence ne se situant pas au niveau de la méthode mais du discours. Abdelaziz Bouteflika et ses vingt ans de règne ont modelé de nouveau le paysage politique et plus précisément celui de la gauche algérienne. Si le PLD, dont le coordinateur est Idriss Moulay Chentouf, se situe en priorité dans son combat contre l’islamisme, le PT de Louisa Hanoune, a toujours plaidé « pour la protection des acquis réalisés par l’Algérie dans les domaines social, économique et politique pour préserver la souveraineté nationale et renforcer la sécurité et la stabilité du pays ».

Le MDS s’est positionné pour une « double rupture », contre l’islamisme et contre le pouvoir en place « qui pratique un néolibéralisme adossé à la rente ». Le RCD, fondé essentiellement par le Docteur Saïd Sadi, s’est englué dans une sorte de parti régionaliste en ayant pour priorité la défense de la langue et de la culture berbère. La gauche algérienne est à la croisée des chemins. Bien que les problèmes économiques, dus aux extravagances laxistes du régime et aux égarements néolibéraux au profit d’une classe sociale qui a tout amoncelé, soient de plus en plus d’actualité, le discours de cette gauche ne touche ni les classes laborieuses des villes ni les paysans pauvres.

Comment arriver à mettre fin à cette réticence à adhérer à ces partis de la part des strates les plus défavorisées de la population ? La majorité des citoyennes et des citoyens qui militent au sein de ces organisations viennent de la petite bourgeoisie ou de la classe moyenne des fonctionnaires qui se battent, avant tout, pour leur propre chapelle et se désintéressent des autres questions auxquelles ils ne sont pas liés directement. Beaucoup de propositions ont été mises sur la table dont la plus accomplie a été de réunir les partis démocratiques au sein d’une plate-forme dénommée PAD qui, un temps, a réuni la LADDH, le RCD, le FFS, le CAMAN, l’UCP, le PLD,le MDS,le PT,le PST et le RAJ. En novembre 2019, le PLD se retire du PAD. « Nous refusons que les islamistes figurent dans le PAD. Nous sommes prêts, en revanche, à les affronter ainsi que les résidus du système lors de la transition qui s’impose au pays », affirme Moulay Idriss Chentouf, coordinateur du PLD, pour lequel « l’urgence commande de sortir de la clôture des chapelles et de se hisser à la hauteur des enjeux que dicte le mouvement citoyen »

Pour l’heure, la principale préoccupation des gens de gauche est d’empêcher le retour des islamistes sous quelle que forme que prendraient les organisations que ces derniers mettraient en place. Depuis la mise à la porte de Bouteflika, la situation économique n’a pas changé. Elle s’est même amplifiée avec la pandémie du coronavirus. Les journalistes sont dans l’œil du viseur et paient un prix faramineux parce qu’ils s’opposent au pouvoir mais égale ment aux islamistes qui attendent, tapis dans l’ombre. La seule dynamique pour remettre en marche non seulement la gauche mais tout le peuple algérien porte un nom : le Hirak. Ce dernier est en sommeil pour cause de Covid-19. Quand il se remettra en marche, lui seul pourra de nouveau guider le peuple de cet immense pays vers de nouvelles conquêtes et en particulier la reprise en main de son propre destin.

Liste des partis d’opposition des partis en Algérie depuis 1962

CAMAN : Collectif des amis du manifeste pour l’Algérie nouvelle FFS : Front des forces socialistes FIS : Front islamique du salut FLN : Front de libération nationale LADDH : Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme MDS : Mouvement démocratique et social PAD : Pacte de l’alternative démocratique PADS : Parti algérien pour la démocratie et le socialisme PAGS : Parti d’avant-garde socialiste PCA : Parti communiste algérien PLD : Parti pour la laïcité et la démocratie PST : Parti socialiste des travailleurs PT : Parti des travailleurs RAJ : Rassemblement actions jeunesse RCD : Rassemblement pour la culture et la démocratie UCP : Union pour le changement et le progrès

Kamel Bencheikh est un écrivain algérien résidant à Paris. Il écrit régulièrement pour le journal algérien Le Matin ainsi que pour Liberté Hebdo. Son dernier ouvrage, L’impasse, est paru cette année aux éditions Frantz Fanon. L’année dernière, il avait collaboré avec de nombreux autres intellectuels à l’ouvrage La Révolution du sourire dédié au mouvement du Hirak, paru dans la même édition.