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Mort d’Idriss Déby

Dictateur et chouchou de la France

par Philippe Allienne
Publié le 30 avril 2021 à 13:04

La réaction de la France à l’annonce de la mort du président tchadien Idriss Déby, tué au front face aux « rebelles » du Fact, ne laisse aucun doute sur notre politique étrangère en Afrique. Sur fond de guerre contre les djihadistes (opérations Serval puis Barkhane), la Françafrique est bien vivante.

La France perd avec Idriss Déby « un allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel (...) La lutte contre le terrorisme au Sahel ne s’arrête pas et je ne doute pas que nous pourrons poursuivre ce qui a été engagé courageusement depuis déjà plusieurs années ». Au lendemain de la mort au combat d’Idriss Déby, le 20 avril, la ministre des Armées, Florence Parly, ne cache pas ses craintes pour l’avenir, sous couvert de phrases convenues. Celui qui était au pouvoir depuis plus de trente ans était un « ami » essentiel. À l’Élysée, on surenchérit : « La France perd un ami courageux. » Dans la foulée, on rappelle le « ferme attachement [de Déby] à la stabilité et l’intégrité territoriale du Tchad durant trois décennies  ». Le tombeur d’Hissène Habré, en 1990, était un « allié de poids de Paris dans la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel  ». Mais ce n’est pas en combattant les djihadistes que le président-soldat de 68 ans a trouvé la mort. Il était parti guerroyer contre le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad, le Fact. Ce dernier, laïc, est une « composante des forces armées de résistance nationale, légitime bras armé des masses populaires assassinées, pillées, humiliées par le dictateur maréchal Idriss Déby au pouvoir absolu depuis 30 longues années ininterrompues », lit-on dans une déclaration (faite avant la mort de Déby) de l’Action tchadienne pour l’unité et le socialisme/parti révolutionnaire populaire et écologique (ACTUD/PRPE).

Le fils adoubé par la France

Ce dernier n’a de cesse de rappeler qu’Idriss Déby, qui venait à peine et pour la sixième fois d’être réélu à la tête du pays avec 80 % des suffrages (le 11 avril), a été imposé et soutenu militairement depuis 30 ans par l’impérialisme français. Pour la « transition » qui vient de s’ouvrir (mais s’agit-il vraiment d’une transition ?), c’est son propre fils qui prend sa place. En se rendant à ses obsèques, le président Macron n’a fait qu’adouber ce dernier au grand dam de l’opposition tchadienne. Évidemment, on peut comprendre l’émotion de la ministre des Armées lorsqu’elle évoque la mémoire des soldats français tués lors de l’opération Barkhane. Cela ne retire rien à la réalité tchadienne et aux liens avec la France. Comme le rappelle le chercheur ivoirien Wazi Guipié, le Tchad n’a jamais connu réellement des périodes pacifiques. Après l’indépendance, le 11 août 1960, François Tombalbaye est installé dans le fauteuil présidentiel. Cet ami de la France est rapidement confronté à la révolte du nord musulman du pays.

Pouvoir solitaire et autoritaire

En 1968, il demande l’aide de la France. En 1975, il est assassiné et remplacé par le général Félix Malloum qui lui-même doit céder la place à Goukouni Oueddei après la première bataille de N’Djaména, en 1979. Un an plus tard, il évince son rival Hissène Habré avec l’aide du libyen Kadhafi. Mais en 1982, le voilà renversé par Hissène Habré qui, un an plus tard, fait appel à la France pour, avec l’opération Manta, contenir l’offensive libyenne. En 1990, Hissène Habré est renversé par Idriss Déby, avec bien sûr l’aide de la France qui voulait se débarrasser de Habré. Depuis trente-et-un ans, les liens entre N’Djaména et Paris étaient indéfectibles. Déby promet la démocratie. En réalité, il instaure un pouvoir solitaire et autoritaire sans oublier de se montrer sur le terrain militaire. « Il a eu la mort qu’il souhaitait  », avance Wazi Guipié tant sa présence sur le terrain des opérations était devenue naturelle. En parallèle de la guerre contre les djihadistes, les forces françaises volent régulièrement au secours de Déby contre le Fact en 2006, 2008, 2009, 2019. En 2008, le président tchadien échappe à une attaque de son palais. Il est sauvé grâce à une intervention décidée par Nicolas Sarkozy. Reste à voir aujourd’hui si le Fact saura obtenir de la France qu’elle abandonne la famille Déby. La compassion que vient de montrer l’Élysée ne va pas en ce sens. D’autant que le dossier Sahel suscite maintes angoisses.