Le président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), a déclenché vendredi 10 et samedi 11 juillet 2020, une violente répression contre les manifestants qui l’appellent à quitter le pouvoir. Bilan : une dizaine de morts, plus d’une centaine blessés, de nombreuses arrestations. Élu en 2013 pour un premier mandat avec 77,78 % des voix, Ibrahim Boubacar Keïta a été plébiscité sur la base d’une promesse électorale : « Pour l’Honneur du Mali, Pour le Bonheur des Maliens, le Mali d’Abord. » Un slogan de campagne qui a trompé les populations d’un pays sortant d’un coup d’État militaire (mars 2012) aux terribles conséquences et d’une rébellion touareg dans le Septentrion malien. Réélu en 2018, avec 67,16 % des voix, pour un second et dernier mandat, l’honneur du Mali est devenu un cauchemar, le bonheur des Maliens une chimère, le Mali d’abord s’est transformé en « ma famille d’abord ». Le Mali est plongé dans une profonde et dangereuse crise socio-politico-sécuritaire et dans un marasme économique sans précédent. Au nord du pays, la région de Kidal est hors contrôle de l’État ; la région de Mopti (centre) s’est embrasée avec des attaques djihadistes et des affrontements intercommunautaires faisant des centaines de victimes et de très importants dégâts matériels. De 2012 à 2020, l’armée malienne a payé un lourd tribu. Des centaines de nos vaillants soldats ont péri dans les combats contre les terroristes. Quant à l’école malienne, elle a été sacrifiée et depuis trois ans les enseignants s’affrontent au gouvernement. La corruption généralisée a gangrené toutes les sphères de l’État. Gabegie, népotisme, clientélisme sont les règles de gestion de l’État.
Face à cette pitoyable gouvernance, aux défaillances des services de l’État, à la dégradation de la situation sécuritaire, au ras de bol général, le peuple est descendu dans la rue. D’abord (à l’image du Hirak d’Algérie), le vendredi 5 juin avec des dizaines de milliers de manifestants, place de l’indépendance à Bamako ; puis, le vendredi 19 juin, avec un plus grand nombre de manifestants. Enfin, le vendredi 10 juillet, un nouveau rassemblement suivi du massacre de nombreux manifestants. Des membres de la force spéciale anti-terroriste malienne (Forsat) ont participé à la répression aveugle, barbare qui s’est abattue sur les manifestants, y compris dans la mosquée de l’Imam Mahmoud Dicko. Les jeunes Maliens sont aux avant-postes de la mobilisation populaire contre l’oligarchie au pouvoir. Il y a les morts et les blessés. Il y a aussi dix des principaux responsables du Mouvement du 5 juin placés en détention. Un tel déchainement des violences contre les populations aux mains nues, c’est du jamais vu au Mali. Et plusieurs sources indiquent que des mercenaires étrangers prêteraient aide et conseils aux forces de police. Le Mouvement du 5 juin, une coalition regroupant des partis politiques, des associations de la société civile et des mouvements religieux est à la pointe du combat. Les demandes du M5 – RFP (Rassemblement des forces patriotiques) sont formulées dans un mémorandum remis en main propre, au chef de l’État, par l’iman Mahmoud Dicko. Première revendication : la démission du président de la République et de son régime. La mascarade électorale avec bourrage d’urnes et achats de vote, le tripatouillage par la Cour constitutionnelle des résultats des élections législatives des 29 mars et 19 avril derniers, ont été, entre autres, les détonateurs de ce mouvement populaire. Resté sourd aux doléances des manifestants, le président de la République a joué la montre, pour tenter de gagner du temps, tablant sur une usure du M5 – RFP et sur un pourrissement du mouvement. La colère n’a pas faibli. Au contraire, l’insurrection a gagné l’ensemble du pays, de Kayes à Tombouctou, en passant par Koulikoro, Ségou, Sikasso et Mopti. La venue d’une délégation de ministres de pays membres de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), ainsi que l’intervention de chefs d’États de la sous-région n’y ont rien fait. Le peuple reste debout, déterminé à user de sa souveraineté, pour mettre fin au régime corrompu et dictatorial. Avec pour seul mot d’ordre : la désobéissance civile sur toute l’étendue du territoire. Dans son combat pour le changement, le peuple malien a plus que jamais besoin du soutien et de la solidarité des forces progressistes et démocratiques du monde entier. Après les événements tragiques de ces derniers jours et les atrocités du régime, rien ne sera plus comme avant au Mali.
*président de l’AMSCID (Association malienne de solidarité et de coopération internationale), ex-journaliste à l’Humanité, ex-secrétaire général de la Présidence de la République du Mali, commandeur de l’Ordre national du Mali et chevalier de la Légion d’honneur de France.
(Photo © Matthiew Rosier/Reuters)