L’Algérie, deux ans après l’élan populaire du « Hirak »

Le pouvoir reste accroché à ses vieux réflexes

par Nacer Dahmane
Publié le 29 janvier 2021 à 11:43

Malgré la pandémie, le mouvement populaire « Hirak » qui a soulevé le peuple algérien il y a deux ans, demeure. Mais le système qu’il combat pacifiquement persiste à user de sa méthode soixantenaire pour se maintenir.

Depuis le 22 février 2019, le peuple algérien a décidé de reprendre en main son destin. La mobilisation populaire qui soulève l’Algérie n’est pas seulement une révolte contre des conditions de vie devenues inacceptables mais une révolte contre un système qui a tout broyé sur son passage (économie, histoire...) et anéanti toute forme d’opposition (associations, partis politiques, collectifs, syndicats...). Ce mouvement a réuni autour lui différentes couches de la société avec un seul mot d’ordre : « Système dégage ! » Ce magnifique et puissant élan populaire a fait échouer le projet de cinquième mandat du président Bouteflika [1] ainsi que son prolongement voulu par le pouvoir.

Pour un changement radical et un État de droit

Le « Hirak [2] » a démontré, semaine après semaine, sa maturité, son intelligence collective et a changé l’image de l’Algérie aux yeux des peuples du monde en adoptant l’unité et le pacifisme comme méthode politique. Jamais dans l’Histoire de l’Algérie un mouvement populaire n’avait soulevé en même temps hommes et femmes, toutes générations confondues. La force de cet l’élan unitaire a mis à mal les anciens réflexes de division du système, bien que ce dernier ait tenté une fois encore et avec ses mêmes méthodes, de déstabiliser cette dynamique collective. Le peuple algérien de l’étranger, la diaspora, s’est nourri de cet élan et vibre au rythme des mobilisations hebdomadaires du mouvement populaire en Algérie. En tant que citoyens conscients de la situation du pays, nous sommes sortis spontanément pour soutenir le peuple algérien dans ses revendications légitimes. Les Algériens de Lille, réunis au sein du CSLPA [3] ne sont pas restés indifférents à ce vent d’espoir et se rassemblent régulièrement pour exiger :

  • Un changement radical de régime ;
  • Une transition démocratique en dehors du système ;
  • Un État de droit et une justice indépendante ;
  • L’égalité femme-homme ;
  • La justice sociale.

    Revenons un peu en arrière pour comprendre le système algérien. À l’indépendance, le système politique, issu d’un coup d’État contre la révolution, a inscrit dans sa politique la primauté du militaire sur le politique par le groupe d’Oujda [4]. Suite à cela, l’ensemble des pouvoirs s’est retrouvé entre les mains d’une seule personne : le président, et un seul parti : le FLN [5].

Alliance pour le partage de la rente pétrolière

Personne ne pouvait contredire cette politique et celui qui s’y opposait était considéré comme ennemi de la nation et jeté en prison. Nous sommes face à un État policier, prétendument démocratique, au sein duquel les clans au pouvoir partagent leurs intérêts, plaçant leurs amis et leurs proches à des postes clés de la pyramide du pouvoir ! Des alliances se sont créées pour le partage de la rente pétrolière au travers de la prédation et la corruption généralisées entre les militaires, le DRS [6], le FLN et leurs alliés. Aujourd’hui, le pouvoir des généraux, l’ensemble des corrompus : FLN/RND [7], les islamistes avec leurs supplétifs continuent de dilapider les richesses du sous-sol avec la complicité des multinationales, alors qu’ils imposent l’austérité et la misère aux classes populaires du pays. Depuis le début du « Hirak », le pouvoir se trouve confronté à la détermination du peuple par l’ampleur du mouvement et sa persistance. Ce régime militaire machiavélique, plutôt que de répondre aux revendications légitimes du peuple, a préféré user des moyens qui lui sont propres : le mépris et la brutalité. Il reste sourd aux revendications légitimes du peuple qui manifeste sa volonté de vivre dans une Algérie libre et démocratique. Subséquemment, l’armée, véritable colonne vertébrale de ce système, a recours à la répression aveugle, inhérente à sa nature, procédant à des arrestations arbitraires d’opposants qui ont apporté leur soutien au soulèvement et de jeunes qui ont seulement osé brandir le drapeau amazigh (berbère). Malgré la répression, rien ne peut arrêter le peuple dans sa mobilisation pour l’instauration d’un État de droit fondé sur la justice sociale et la répartition équitable des richesses.

Politique de la peur

Depuis l’arrêt des manifestations en Algérie voulu par le « Hirak » en raison de la situation sanitaire, le pouvoir se régénère en plaçant ses pions partout. Il tente de faire peur au peuple avec des méthodes d’un autre siècle au lieu de trouver de véritables solutions et continue à utiliser les mêmes recettes : l’amateurisme, le clanisme, le replâtrage, la répression des libertés d’opinion, d’expression, de rassemblement et de réunion.... Les vieux réflexes remontent à la surface, la crise de confiance, les luttes partisanes et aucune réelle perspective n’étant amorcée pour construire une feuille de route commune et ce, malgré la volonté de certains groupes à proposer des alternatives restées malheureusement sans suite. Le pouvoir, acculé par les revendications légitimes, a décidé d’organiser les élections présidentielles contre la volonté populaire. Le 12 décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune [8] a été désigné comme président malgré son faible score, inférieur à 40 %. Il restera dans l’histoire comme le président de la République ayant été élu avec trois millions de voix. Les résultats annoncés par le pouvoir et la réalité est autre sur un corps électoral de 24 millions de personnes ! Cette initiative de colmatage a été imposée par le régime comme unique voie de sortie de crise. Le peuple s’est opposé à cette démarche qu’il considère comme une diversion de plus pour casser le « Hirak » et a décidé de continuer le combat tant que l’ensemble du système criminel n’aura pas quitté le pouvoir.

Le référendum : une autre arnaque

Malgré la gifle des élections présidentielles, contre vents et marées, le système a décidé d’engager une autre arnaque : un référendum pour l’adoption de la nouvelle Constitution. Le 16 octobre 2020, Abdelmadjid Tebboune, âgé de 75 ans a été contaminé par la Covid. La détérioration de son état de santé a contraint ses collaborateurs à organiser son évacuation en Allemagne le 28 octobre 2020. Cette évacuation à l’étranger arrive au moment où la pandémie est en pleine recrudescence et que les frontières algériennes sont fermées depuis le 17 mars 2020. L’absence prolongée de Tebboune a soulevé plusieurs interrogations dans un contexte de crise sanitaire, économique et politique, qui a désormais frappé de plein fouet le pays. L’ampleur de la crise n’a pas empêché le pouvoir d’organiser le référendum contre la volonté du peuple. La situation n’est pas sans rappeler l’épisode où l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, victime d’un AVC en avril 2013, avait séjourné 80 jours à Paris. Karl Marx disait : « La première comme une tragédie, la seconde comme une farce. » En Algérie, les généraux et leurs héritiers continuent de diriger le pays dans l’ombre. Ils constituent la colonne vertébrale de ce pouvoir mafieux qui adhère à l’économie néolibérale et à une idéologie islamo-nationaliste pour mieux défendre leurs privilèges. Le moment est crucial, nous sommes passés de l’effervescence à celui où les opportunistes, alliés du régime, profitent de la pandémie pour tenter de se replacer. Nous pouvons le constater avec le retour du général Khaled Nezzar [9] et l’acquittement du général Toufik [10] dans l’affaire du complot contre Gaïd Salah [11] alors que les détenus d’opinion croupissent toujours en prison ! Il y a trop de dissimulations, de mensonges. La course aux postes est relancée avec les élections législatives et municipales qui se profilent à l’horizon : la désinformation et la manipulation de l’opinion publique battent leur plein. Un bilan est maintenant nécessaire afin de construire un socle commun, tracer des perspectives et, enfin, inscrire d’autres formes de lutte dans la durée pour qu’elles puissent ac- coucher d’un projet de société progressiste. Projet qui considèrera que l’Algérie de demain n’est possible qu’en revendiquant sa diversité culturelle et linguistique, qui est une richesse pour l’unité nationale, garantira l’égalité des droits entre femmes et hommes et à la séparation de la religion du politique. Malgré la pandémie, les manœuvres et la répression, la détermination du peuple à atteindre son objectif est toujours intacte : le départ de tous les symboles du système et l’instauration d’un processus de transition politique démocratique mené par la société civile, indépendant du système actuel.

Nacer DAHMANE est cadre en travail social et membre du Collectif de solidarité avec la lutte du peuple algérien-Lille.

Notes :

[1Abdelaziz Bouteflika : président de la République algérienne démocratique et populaire du 27 avril 1999 au 2 avril 2019.

[2« Hirak » : mouvement populaire.

[3C.S.L.P.A : Collectif de solidarité avec la lutte du peuple algérien.

[4Groupe d’Oujda : le clan d’Oujda est un groupe politico-militaire composé d’Algériens du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d’Algérie. Le clan s’est bâti sur la première communauté algérienne installée au Maroc depuis 1850, composé de la petite bourgeoisie, de propriétaires terriens, d’auxiliaires de l’administration marocaine ou d’étudiants et des cadres repliés derrière la frontière marocaine dès le début de l’insurrection de 1954.

[5F.L.N : Front de libération nationale.

[6D.R.S : Département du renseignement et de la sécurité.

[7R.N.D : Rassemblement national démocratique.

[8Abdelmadjid Tebboune : le président actuel.

[9Khaled Nezzar : ancien ministre de la Défense.

[10Général Mohamed Mediène, dit Toufik : ex-patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS).

[11Général Gaïd Salah : ex-chef d’État-Major et ex-vice-ministre de la Défense nationale.