Point de vue

Le statut de réfugié politique à l’épreuve de la géostratégie

par JEAN-CLAUDE CUVELIER
Publié le 5 avril 2019 à 19:14 Mise à jour le 8 avril 2019

Au cœur de la Corne de l’Afrique, une région en complet bouleversement géopolitique, Djibouti est considéré comme une plaque tournante logistique pour les puissances navales et militaires du monde. La France y possède sa plus importante base militaire hors Métropole, avec 1450 militaires présents. Mais elle n’y est plus seule.

L’Europe, la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon ou la Russie jouent un rôle qui dépasse la lutte contre les pirateries pour participer à une lutte stratégique entre différentes puissances pour le contrôle des voies maritimes, notamment celles qui vont du détroit de Bab el Mandeb à celui de Malacca. Par ailleurs, le conflit au Yémen et l’islamisme conquérant et vivace en Somalie, donne encore un peu plus d’importance à la place de Djibouti.

Les retombées générées par les bases militaires n’engraissent que Ismaïl Omar Guelleh et sa famille

Les retombées générées par les bases militaires française, américaine, japonaise et chinoise n’engraissent que le dictateur Ismaïl Omar Guelleh, sa famille et quelques rares fidèles, alors que 85 % de la population connaissent une extrême pauvreté. La situation sociale est explosive.

Enjeux géostratégiques

Dans plusieurs quartiers de la capitale, les gens ne mangent pas à leur faim et les habitants des zones rurales sont durement affectés par la sécheresse et par les restrictions alimentaires imposées par le pouvoir. Il s’agit de les punir de leur proximité avec le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD).

Précisément, le président du FRUD, Mohamed Kadamy, bête noire de la dictature, est en France. Il est protégé par le statut officiel de réfugié politique depuis 2006. À ce titre sa protection est sacrée. Or, quelques semaines avant le voyage officiel du Président français à Djibouti, Mohamed Kadamy a fait l’objet d’une demande de commission rogatoire lancée à son encontre par Djibouti, demandant son extradition, et un juge français a alors décidé sa mise en examen. Osera-t-on parler d’un deal entre les deux procédures sollicité par les manœuvres de la dictature djiboutienne ?

Cette situation est scandaleuse. Les premières manifestations de protestation ont eu lieu à Bruxelles et à Paris. La pression ne doit pas se relâcher sur les autorités françaises

Intervention du député Jean-Paul Lecoq

Mohamed Kadamy a été reçu par Jean-Paul Lecoq, député PCF, membre de la commission des Affaires étrangères, et Sylvie Jan, porte-parole du Comité de suivi, à l’Assemblée nationale.

Jean-Paul Lecocq, député PCF

À l’issue de cette rencontre, Jean-Paul Lecoq s’est dit soucieux «  d’échanger sur le contexte politique de Djibouti » et de «  comprendre cette situation aberrante  ». Il s’est dit « effaré par cette mise en examen au regard de la loi française sur les droits des réfugiés politiques », « inquiet pour le préalable grave que cela signifierait pour tous les réfugiés politiques en France, d’où qu’ils viennent ».

Interpellé, le ministre de la Défense s’est dit soucieux de la séparation des pouvoirs entre l’État et la justice. Jean-Paul Lecoq partage ce souci, mais il a souligné que son propos visait une question d’ordre politique : le droit d’asile, les libertés en France et que ce sont ces droits, au travers du "cas Kadamy" qu’il s’engageait à défendre. Le député a souhaité être informé des évolutions de cette affaire, aussi « d’un point de vue humain », tenant compte des menaces très lourdes qui pèseraient sur la vie de l’opposant djiboutien, au cas où la France accepterait l’extradition.

Protection citoyenne urgente

Mohamed Kadamy a de nouveau été entendu le 28 mars par le juge d’instruction, et cette nouvelle audition a confirmé s’il en était besoin que le dossier est vide. Il est urgent de mettre un terme aux poursuites engagées, en dépit de son statut de réfugié politique. Autant dire que nous devons rester attentif à l’évolution du traitement de ce dossier, et nous devons mettre Mohamed Kadamy sous notre protection citoyenne.