LA CHRONIQUE DE RECHERCHES INTERNATIONALES

Un monde aux ressources finies

Publié le 31 mai 2019 à 14:24

En 1972, les prévisions du premier Rapport du Club de Rome annonçaient, dans un futur proche de quelques décennies, l’épuisement des matières premières essentielles nécessaires à la bonne marche de l’économie. [...] Ces prévisions se sont avérées douteuses, ce que dut reconnaître le Club de Rome en publiant quelques années plus tard un second Rapport insistant sur toute autre chose : la capacité de charge des écosystèmes, donc sur les excès de la pollution et leur menace pour la survie de l’espèce humaine.

> Par Michel Rogalski, économiste au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et directeur de Recherches internationales.

Depuis lors, le réchauffement climatique qui n’était pas pointé à l’époque est ainsi devenu l’une des principales hantises. Les alertes se multiplièrent et l’on vit surgir la menace d’un « pic pétrolier » [...] Aubaine pour les lobbies nucléaires qui se firent les relais actifs de cette théorie. Là encore les prévisions ne se réalisèrent pas [...]. Ces cafouillages proviennent d’une incompréhension répandue. C’est l’idée que la planète contiendrait une quantité finie de ressources et que l’homme finirait par l’épuiser. Si l’on parle, à juste titre, de finitude de la planète, ce n’est pas parce que ses ressources seraient bornées, mais au contraire parce que leur usage intensif constituerait une source de pollution et de dégradation des écosystèmes qui rendrait toute vie impropre à l’espèce humaine. La menace de réchauffement climatique ne s’est jamais expliquée par la raréfaction de ressources mais au contraire par une utilisation démesurée de celles-ci, en particulier de celles d’origine fossile et susceptible d’émettre des gaz à effet de serre [...].

Les ressources se créent

Non, les ressources ne sont pas finies parce qu’elles sont une création continue de l’homme. Elles dépendent principalement de trois facteurs : du niveau de la technologie, c’est-à-dire de la capacité à y accéder, de son prix relatif qui permet d’en faire une ressource économiquement rentable, et enfin du degré de développement scientifique qui permet de sélectionner ce qui pourrait devenir une ressource utilisable. Le stock de ressources, loin d’être une donnée constituée une fois pour toutes, est en perpétuelle réévaluation et surtout en augmentation régulière car l’empilement joue souvent plus que la substitution. Ainsi le bois de feu reste encore une ressource utilisée par des milliards d’hommes sur la planète et coexiste avec le charbon, le pétrole, le gaz, le nucléaire, l’hydraulique, l’éolien et le solaire.

Le progrès technique permet l’accès à toujours plus de ressources. Les puits de pétrole seront exploités jusqu’à la dernière goutte [...], à plusieurs milliers de mètres sous la surface des mers [...]. En plus cet accès a permis de découvrir les roches reposant sur le lit océanique, ces fameux nodules polymétalliques. En Afrique, les réserves d’énergie hydraulique ne sont exploitées qu’à 8 %. Les capacités géothermiques le sont à 1 %. Ces gisements de ressources ne peuvent être qu’en forte croissance [...]. Le gisement potentiellement le plus élevé trouve sa source dans le progrès scientifique. [...] Il a fallu que l’homme perce le secret de l’atome pour que l’uranium qui gisait sous nos pieds depuis des centaines de millions d’années devienne d’un seul coup une ressource recherchée car ouvrant la porte au nucléaire et à tous ses usages. Le pétrole, qui a longtemps servi à s’éclairer et à se chauffer, est devenu une ressource essentielle dès lors que la machine à vapeur a été inventée ou que sa combustion a révolutionné les transports par l’invention des moteurs dont l’usage a révolutionné l’industrie en soulageant la peine de l’homme. Ces progrès ont permis également de prendre conscience de l’intérêt des terres rares.

On désigne par là dix-sept métaux aux propriétés électromagnétiques très recherchées dans les technologies de pointe : voitures hybrides, énergies renouvelables, électronique et armement, essentielles aujourd’hui à la fabrication des composants utilisés dans les véhicules électriques, les lasers et les nanotechnologies, les téléphones mobiles, les ordinateurs, le verre industriel de haute qualité ou encore les dispositifs photovoltaïques. Ces terres rares sont très dispersées dans le monde. [...] On comprend pourquoi la géographie des ressources et la géopolitique qui en découle sont en continuel mouvement.

La croissance, question taboue

Le véritable problème auquel l’humanité est confrontée n’est pas celui de l’épuisement des ressources mais celui de leur utilisation à l’origine de pollutions transformant la planète en immense poubelle. Dans de tels écosystèmes dégradés, l’homme ne peut plus survivre. Ces questions nourrissent de multiples débats. Dans un récent appel, environ quinze mille scientifiques proclament que la croissance continue de la population serait devenue le principal moteur de nombreuses menaces écologiques et même sociales. Cette question taboue n’avait plus été abordée depuis la conférence mondiale sur la population qui s’était tenue au Caire en 1994. L’impasse est ici faite sur la façon dont la population vit, produit, consomme, se déplace, c’est-à-dire sur les modes de vie qui seraient susceptibles de générer un développement durable dont les trois piliers reposent sur l’efficacité économique, le souci de l’environnement et l’équité sociale. Bref, il s’agirait d’isoler les êtres humains de leur façon de vivre. C’est contraire à ce qu’enseigne toute l’histoire du monde [...].

Le triptyque « produire plus, répartir mieux, préserver l’avenir » ne pourra pas se décliner sans tensions ou lectures antagonistes. L’enjeu est de résoudre, autrement que par l’arrêt du développement, le conflit latent entre une croissance sauvage et un environnement viable. [...] L’ampleur des efforts à faire pour changer de trajectoire est immense. Il ne s’agit rien moins que de rompre avec un régime d’accumulation et du paradigme techno-économique qui lui est rattaché pour s’engager vers des sociétés décarbonées.

Des moyens considérables devront être mobilisés. Comment imaginer [...] que tous ceux qui sont victimes, ici et maintenant, des pires maux qui frappent la planète accepteront facilement que soient « détournés » ces moyens au bénéfice de générations futures, alors que la question qu’ils affrontent est celle de leur survie au quotidien. Vouloir les associer au sauvetage du climat sans satisfaire dès à présent leurs besoins pressants les plus essentiels ne saurait conduire qu’à l’impasse. Ces préoccupations n’ont pas qu’une dimension mondiale et ont été pointées en France par le mouvement des Gilets jaunes qui a fait apparaître le hiatus entre la « fin du mois » et la « fin du monde ».

Chronique réalisée en partenariat avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent universitaires et chercheurs, et qui a pour champ les grandes questions bouleversant le monde, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité… Infos et abonnement : recherches-internationales.fr 4 numéros par an : 55 € (étranger : 75 €). Les coupes et les intertitres sont de la rédaction de Liberté Hebdo.