Quelle analyse faites-vous des récents événements à Washington, avec cet appel du président Trump à marcher sur le Capitole ? Cette situation est quelque chose que l’on peut qualifier de grave et qui fait également peur. L’appel du président Trump à perturber le Capitole, qui était en plein travail sur l’officialisation des résultats des élections présidentielles, est un cas unique aux États-Unis. La situation est aussi un peu plus complexe : on peut se poser des questions sur la réaction des forces de police qui ont ouvert les barrières ou encore sur une absence de forces de l’ordre au Capitole. On ne peut pas parler de coup d’État, au pire d’un « putch d’opérette » car ni l’armée ni les forces de l’ordre n’étaient aux cotés de Donald Trump. Mais c’est aussi le signal d’un système politique qui ne fonctionne pas bien.
Qu’est-ce qui explique cette mobilisation ? Cette situation est significative d’un réel mécontentement d’une partie de la population américaine, expressément située à droite, plutôt populiste, sans en faire un amalgame. Et justement, certains leaders démagogues se saisissent de ce mécontentement pour l’exploiter, que cela soit à gauche ou à droite. Un phénomène qui n’est pas spécifique aux États-Unis, on peut penser au cas de la Hongrie, avec Viktor Orban et encore à d’autres pays. Pour l’Amérique, certes l’écart du scrutin est pour quelque chose dans cette mobilisation. Mais ces Trumpistes sont surtout des citoyens qui se sentent lésés. Ils font partie d’une catégorie de la population tombée dans la paupérisation, à cause notamment de pertes d’emplois dues à la mondialisation. Donald Trump a su capter ce mécontente-ment par rhétorique.
Dans ces conditions, quel est l’avenir de Donald Trump ? Il fait face à une situation où ses fidèles évoluent et avec sa stratégie sélective, une partie de son électorat ne le suivra plus. D’ailleurs, Donald Trump est déjà marginalisé, si l’on pense au réseau d’informations Fox News qui ne l’appuie plus, ou encore à ses fidèles qui l’ont laissé tomber. On pense à des proches tels que Mike Pence [1], l’actuel vice-président, et Mitch McConnell [2], qui malgré tout, ont une puissance démagogique assez forte. Tous deux se sont dissociés des positions du président, notamment sur l’officialisation des résultats. Institutionnellement, il perd de son pouvoir. Cette situation discrédite Donald Trump tant au niveau national qu’international. Un retour en politique s’avère difficile. Sur le plan international, il est connu pour sa démagogie. Son avenir pourrait passer par la création d’une chaîne de télévision ou d’un média à sa solde. N’oublions pas qu’il a 74 ans et qu’il a été aliéné par beaucoup de monde.
Est-ce que cela signifie une transformation ou la fin du parti Républicain ? Aux États-Unis, le système de bipartisme est en place depuis très longtemps, même si des partis de gauche ou de droite existent. Il me semble difficile de sortir de ce moule. L’émergence d’un nouveau parti d’extrême droite semble peu probable. Si l’on évoque la succession de Donald Trump, qu’il s’agisse de Mike Pence ou Mitch McConnell, aucun des deux ne pourra se substituer à lui. Certes, McConnell est quelqu’un de droite, qualifié d’efficace, mais aussi de cruel dans certaines de ses prises de position. Il peut capter les mécontents. Quant à Mike Pence, il est catholique, fondamentaliste et complaisant. Bien que favorable à une politique de droite, en faveur du marché, il ne suscitera pas d’opposition dans la forme.Il ne faut pas croire en la disparition du parti, il s’agira sans doute plutôt d’une évolution. Il ne faut pas oublier que durant le mandat d’Obama, dans le contexte de la crise financière de 2008, est apparu le Tea Party (3). Ce mouvement critique a fait pression sur les parlementaires tentant de les radicaliser. Donald Trump a profité de ce mouvement, de cette vague pour arriver au pouvoir. On pourrait assister à l’émergence d’un autre mouvement comparable.
Faut-il s’attendre à un autre avenir pour les États-Unis ? Actuellement, qu’il s’agisse du parti républicain ou démocrate, tous le deux sont proches des milieux d’affaires. Donald Trump a créé des conditions économiques favorables aux marchés en diminuant les impôts sur les sociétés et sur les hauts revenus. Il est ce qu’on appelle un acteur de l’élite. De plus, il s’est opposé au système de sécurité sociale Obamacare. Sur ce sujet, on ne peut pas dire que le président élu Joe Biden soit très favorable. Pourtant 80 % des électeurs qui l’ont plébiscité, le sont !Joe Biden s’est aussi entouré de responsables des milieux économiques et militaires. D’ailleurs, le budget des dépenses militaires sera augmenté. Signe que l’économie sera une priorité. L’avenir passera par une politique bénéfique pour la base, pour les catégories sociales les plus faibles. En fait, Emmanuel Todd, dans l’un de ses ouvrages, évoque cette situation, et préconise une politique sociale qui conduit à une société plus florissante, plus équitable, ce qui n’est pas le cas actuellement. Relever les salaires serait une manière de faire diminuer les inégalités et, parallèlement, les tensions entre les catégories sociales. Et même si des grandes entreprises, comme Amazon, soutiennent le mouvement Black Live Matter, il s’agit là d’une forme d’hypocrisie. Les revendications raciales font pour la plupart appel à une meilleure égalité sociale.C’est un sujet délicat, car il faut garder en tête que lors des élections du parti démocrate en 2016, beaucoup d’électeurs n’étaient pas favorables aux projets de Bernie Sanders [3], le considérant trop à gauche. Mécontents, certains sont allés vers Donald Trump. Mais cette politique sociale permettrait de tempérer les inégalités. A ce constat s’ajoute le fait que la démographie de la population « blanche » est à la baisse au profit des minorités, et ce depuis la seconde guerre mondiale. Cela conduit à un sentiment de désespoir entraînant une explosion de tous les conspirationnistes. Il est essentiel d’aller vers une société plus équitable, pour réduire les inégalités.
Propos recueillis par Marc DE LANGIE