La chronique de Recherches internationales

Victoire de la xénophobie dans la campagne américaine

Publié le 22 mai 2020 à 10:34 Mise à jour le 20 mai 2020

La campagne pour les élections présidentielles américaines a pris un tournant spécifique avec la crise causée par la pandémie du Covid-19. Parmi les thèmes qui émergent, l’hostilité vis-à-vis de la Chine est devenue un point commun au président Trump et à celui qui semble être le futur candidat démocrate, Biden. L’un et l’autre s’accusent d’être l’idiot utile ou le candidat de la Chine. La chaîne Fox News, qui soutient Trump contre vents et marées, affirme que la Chine est responsable de la pandémie et attaque les États-Unis, Biden, dans un clip de campagne, se demande pourquoi les États-Unis n’ont pas envoyé des inspecteurs à Wuhan pour établir la vérité sur le départ de la pandémie et accuse Trump d’être trop proche du président chinois Xi Jinping, reproche que Trump adresse lui-même à Biden.

Si la Russie a été le pays le plus cité dans la campagne de 2016 par les Démocrates qui tentaient d’établir un lien entre Poutine et Trump et alors que lui-même ciblait le Mexique pour en faire le bouc émissaire des problèmes états-uniens, il semble bien que la Chine sera la cible de la xénophobie des deux partis unis dans la recherche d’un responsable non seulement de la pandémie mais des difficultés économiques et sociales des États-Unis. La rhétorique du « péril jaune » est de retour et est dénoncée par une partie de la gauche alors même que l’hostilité à la Chine est très majoritaire aux États-Unis.

Une campagne antichinoise partagée par les deux grands partis

Avant de commencer l’analyse de cette nouvelle flambée de xénophobie exploitée par les deux candidats, il faut mettre les choses au point sur la Chine et son fonctionnement politique interne. La Chine est un pays qui pratique le capitalisme d’État dont le fonctionnement est autoritaire avec un parti unique, le Parti communiste chinois (PCC) qui n’hésite pas à réprimer les travailleurs. Les formes de contrôle de la population sont autocratiques et le système dit de crédit social est une nouvelle forme numérique de contrôle des populations. Elle est accusée d’avoir menti sur le début de l’épidémie de coronavirus dont elle est le foyer principal et sur le nombre de morts à Wuhan et dans toute la Chine.

Néanmoins, pour comprendre ce qui se passe tant au niveau géopolitique que dans la campagne américaine je souhaite partir des déclarations du célèbre dissident chinois Ai Weiwei. Lorsque cet artiste critique les violations de la liberté d’expression en Chine, son pays d’origine dont il a été expulsé, Ai Weiwei a droit à des tribunes dans les médias occidentaux mais lorsque, fidèle à ses convictions, il soutient Julian Assange, les médias dominants ne parlent pas de lui. Le 13 janvier 2020, dans une tribune donnée au New York Times, Ai Weiwei dénonçait le racisme dont il avait été la cible en Allemagne mais aussi le racisme institutionnel inconscient qui préside à la bonne entente entre le monde des affaires occidental et la Chine communiste. Il dénonce ce qu’il appelle la symbiose entre ces deux entités apparemment si opposées.« L’Occident offre des capitaux et une technologie essentielle tandis que les dirigeants chinois fournissent une main-d’œuvre énorme, captive, travailleuse, mal payée et non-protégée. » Il ajoute : « La diplomatie internationale a facilité le partenariat entre les entreprises étrangères et le communisme chinois et le gouvernement allemand a particulièrement bien réussi dans ce rôle. »

Il n’y a pas de critique plus sévère de la Chine que cet artiste, par ailleurs grand soutien des réfugiés partout dans le monde, mais contrairement aux deux candidats à la présidence des États-Unis, il ne fait pas de sa critique une machine manichéenne qui tendrait à faire de l’Occident le foyer du bien contre un nouveau foyer du mal en Chine.

Se dédouaner de ses erreurs

La focalisation sur la Chine a été renforcée par la pandémie mais elle ne date pas d’hier. En 2017 un historien américain de Harvard a publié un ouvrage intitulé : Destined for War : Can America and China Escape Thucydides’s Trap ? [1] Le piège à éviter serait celui de la guerre fréquente entre deux puissances en lutte pour l’hégémonie. L’hégémonie en question entre la Chine et les États-Unis étant bien sûre mondiale. Dans les situations de lutte pour l’hégémonie, les modalités du combat sont multiples et la propagande est un vecteur important de cette lutte. Les caractéristiques culturelles et politiques sont utilisées pour décrédibiliser l’adversaire et les opinions publiques sont mobilisées dans les deux camps pour noircir l’adversaire et se présenter comme le défenseur des valeurs les plus généreuses. Le président Trump a, à dessein, parlé du « virus chinois » pour évoquer la pandémie du Covid-19 et le Secrétaire d’État a lui utilisé l’expression « virus de Wuhan ». L’intention xénophobe est patente et a été critiquée par de nombreux responsables médicaux et politiques américains. L’objectif de cette désignation xénophobe est transparent et habituel chez Trump : faire porter la responsabilité de la catastrophe sanitaire des États-Unis par une puissance étrangère.

La Chine s’inscrit dans une longue liste de désignations xénophobes ou racistes de Trump qui avait parlé de « pays de merde » pour évoquer l’Afrique et des « Mexicains violeurs ». Le lien entre viol et xénophobie est fréquent chez ce personnage accusé lui-même de viol par plusieurs femmes. Si le virus est chinois, alors l’impréparation des systèmes de santé américains soumis à un néolibéralisme encore plus effréné que celui qui handicape la France, n’est plus la responsabilité des autorités. La désignation xénophobe n’inhibe pas les accusations contre son prédécesseur Obama et permet de gommer, dans l’espace médiatique, les réductions de crédit aux institutions chargées de lutter contre les infections.

Il ne fait aucun doute que la pandémie est partie de Chine mais sa dissémination a suivi les voies de la globalisation marchande dont les moteurs sont les entreprises occidentales, et notamment américaines, qui, comme le pointe fort bien Ai Weiwei, coopèrent avec le régime communiste pourtant officiellement honni. Les transports aériens qui sont l’un des vecteurs de l’avancée de la pandémie reflètent l’intensité des échanges économiques et des rapports avec la Chine. Un auteur de gauche fait remarquer que si l’on suivait la logique trumpienne alors il faudrait renommer la grippe espagnole en « grippe du Kansas » car cette pandémie n’est pas née en Espagne mais dans cet État américain.

S’il est clair qu’il n’est pas possible de faire une confiance aveugle aux déclarations officielles chinoises, il est également évident que dans une guerre de l’information, la propagande existe dans tous les centres de pouvoir. S’il s’agit de critiquer la Chine, sans ajouter de suspicions ou mensonges à ceux qui sont dénoncés, il conviendrait aussi de ne pas imiter certaines de ses techniques de contrôle. Le crédit social n’existe pas dans les pays occidentaux mais la NSA espionne toute le monde avec le concours des grandes entreprises du numérique. La vérité sur le nombre de morts dans une pandémie ou une catastrophe n’est en général jamais sue sur le moment. Que l’on songe au nombre de morts de la canicule en France en 2003 ou à la révélation progressive de l’étendue des dégâts causés à Fukushima en 2011 au Japon.

Trump et Biden non seulement relancent la rhétorique xénophobe du « péril jaune » mais sont de parfaits hypocrites puisque leurs familles (Ivanka Trump et Hunter Biden) ont très directement bénéficié de la largesse financière de la Chine. Au lieu de lancer une nouvelle guerre froide, avec la Chine puissance nucléaire, dont le but non avoué est la suprématie mondiale, les États-Unis, comme la Chine devraient passer immédiatement à la phase détente. Dans le contexte actuel où, selon un sondage, 77 % des Américains considèrent que la Chine est responsable du virus et que 54 % pensent que ce pays devrait payer des réparations, on peut s’attendre à un déferlement de xénophobie de la part des deux partis qui ne souhaitent pas analyser les faiblesses et erreurs de leur pays livré au libre-échangisme marchand célébré par les néolibéraux et Xi Jinping en parfaite collusion [2].

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays. 6, av. Mathurin Moreau ; 75167 Paris Cedex 19 Site : http://www.recherches-internationales.fr/ Mail : recherinter chez paul-langevin.fr Abonnements 4 numéros par an : 55 Euros, Étranger 75 Euros

Notes :

[1La traduction en français reprend le titre : Vers la guerre : La Chine et l’Amérique dans le Piège de Thucydide ?

[2Sur le désastre américain lire : « We Are Living in a Failed State » de George Packer, The Atlantic, Juin 2020.