© Jacques Kmieciak

De la décommunisation en Ukraine

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 9 juin 2022 à 23:40

En Ukraine, l’interdiction du Parti communiste ukrainien officialisée ce 16 mai par un tribunal de Kiev conforte une logique liberticide de décommunisation.

Comme dans de nombreux pays de l’espace post-soviétique de la Lettonie à la Pologne, le processus dit de « décommunisation », de rupture avec le passé socialiste, a débuté au début des années 1990 avec la « restauration du capitalisme dans une URSS démantelée contre l’avis des peuples qui la constituaient. En Ukraine, dans un contexte de tension exacerbée avec la Russie, il s’est accéléré après les manifestations pro-européennes (Euromaïdan) commencées en novembre 2013 et, surtout, après la destitution de Viktor Ianoukovytch en février 2014 [1]. Ce dernier avait alors dénoncé un « coup d’État ». Déjà, lors des manifestations pro-occidentales qui l’ont précédée, 436 statues de Lénine auraient été saccagées. En mai 2015, une nouvelle étape est franchie avec la promulgation des lois de décommunisation par le président-oligarque Porochenko. Son objectif ? Rompre de façon définitive avec le passé soviétique (1917-1991) et exalter le sentiment national ukrainien dans un territoire pourtant culturellement partagé entre ukrainophones et russophones. Dans le collimateur du régime : des milliers de noms de communes, rues ou bâtiments publics hérités de la période soviétique, qu’il s’agit de débaptiser… Mais aussi les sculptures élevées à la gloire de héros de l’Ukraine socialiste ou de l’URSS. Ou encore les monuments érigés en mémoire du sacrifice consenti par l’Armée rouge qui, en 1944, a libéré l’Ukraine de la présence de la Wehrmacht et de ses alliés de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) coupable de crimes contre les Polonais, les Juifs et les communistes.

De la réhabilitation de Bandera

En dépit de l’indifférence, voire de l’hostilité, d’une population plus préoccupée par la dégradation de ses conditions de vie ou par la guerre dans le Donbass, les résultats ne se sont pas fait attendre. La ville de Dniepropetrovsk qui renvoie à l’itinéraire de Grigori Petrovski, dirigeant communiste ukrainien de l’entre-deux-guerres, est ainsi renommée Dnipro du nom du fleuve qui la traverse. Au cœur de cette ville d’un million d’habitants, la « place Lénine » est rebaptisée « place des héros du Maïdan ». Exit les « rue des Prolétaires » ou de « l’Armée rouge »… La redénomination des artères profite notamment au chef cosaque Bogdan Khmelnitski, au poète nationaliste Tatras Chevtchenko et parfois même au dirigeant nazi Stepan Bandera que le régime de Kiev réhabilite volontiers. Dans la capitale, le monument de 1982 célébrant l’amitié entre l’Ukraine et la Russie a récemment fait l’objet d’un début de démantèlement. Dans les républiques séparatistes du Donbass, ces injonctions se heurtent à l’opposition d’habitants tournés vers la Russie et, pour partie, nostalgiques du passé soviétique…

Indignation à géométrie variable

En parallèle, l’interdiction de « propager les symboles » du régime socialiste honni ou d’en faire la promotion publique conduit, dès 2014, à une tentative d’interdiction du Parti communiste ukrainien. Le 16 mai dernier, un tribunal de Kiev vient de confirmer la sentence à l’endroit d’une organisation déjà empêchée de présenter un candidat à l’élection présidentielle de 2019. Un nouveau coup porté au pluralisme par un régime qui avait, en mars dernier, déjà interdit toutes organisations de gauche ou prorusses. Celui-ci multiplie par ailleurs les arrestations de militants communistes comme les frères Mikhail et Aleksander Kononovich du Komsomol (Jeunesse communiste) embastillés depuis mars et dont nous sommes sans nouvelles. Peu de voix en Occident dénoncent ces atteintes au pluralisme et à la liberté d’expression. Ou l’art de l’indignation droit-de-l’hommiste à géométrie variable…

Notes :

[1Président depuis le 25 février 2010, Viktor Ianoukovytch a été destitué le 22 février 2014 par le Parlement ukrainien avec les voix de 328 députés sur 450. Or, selon l’article 111 de la Constitution, une destitution nécessite le vote de 75 % des 338 voix.