Dans le Bassin minier, à Barlin, « la solidarité avec l’Ukraine s’est manifestée d’emblée », se félicite Julien Dagbert, maire proche de LREM. Début mars, il s’est rendu à Marklowice, la ville polonaise jumelée avec Barlin. Située à 400 km de la frontière ukrainienne, elle a accueilli quantité de réfugiés ukrainiens... « Les habitants se sont intéressés à ce qu’on allait y faire. Ici, la Pologne, ça parle », poursuit-il. Barlin sera en effet dans les années 1920 l’une des villes les plus polonisées de l’Hexagone ! Aujourd’hui encore, de nombreux Barlinois maintiennent des liens avec la famille restée au pays. Le voyage au-delà de l’Oder s’est traduit par la livraison de plusieurs tonnes de produits de premières nécessités.
Un héritage de Tchernobyl
A Marles-les-Mines, Éric Édouard (divers gauche) s’avoue surpris par la générosité de ses concitoyens. Suite à l’intervention russe, « le soir à 18h, je lançais sur les réseaux sociaux un appel à une collecte en faveur du peuple ukrainien, le lendemain dès 8h du matin, des gens se manifestaient sur le parvis avec des cartons de vivres ou de produits pharmaceutiques », se souvient le premier magistrat. Selon lui, la présence d’une toujours dynamique communauté franco-polonaise ne serait pas étrangère à cet « élan de solidarité ». Durant l’entre-deux guerres, la Pologne et l’Ukraine ont d’ailleurs noué des liens particulièrement étroits ; la première occupant la partie occidentale de la seconde. Les relations nées de la présence « dans la région de jeunes Ukrainiens originaires de Tchernobyl ont également pu jouer. Il y a quelques années, une de nos adjointes avait accueilli l’un d’eux. Il vit actuellement à Kiev et était mobilisé. Nous lui avons proposé de faire venir son épouse et ses enfants réfugiés en Pologne, mais ils ne l’ont pas souhaité... La barrière de la langue peut-être ? Depuis, la situation s’est améliorée. Il a repris son activité professionnelle et sa famille devrait bientôt le rejoindre », précise Éric Édouard. « Le peu d’Ukrainiens qui se sont présentés sur le littoral, y étaient déjà venus il y a une quinzaine d’années. Inquiets de leur situation, leurs familles d’accueil de l’époque les ont sollicités de nouveau. Mais la plupart semblaient désireux de partir en Angleterre », abonde Brigitte Passebosc, maire PCF de Saint-Etienne-au-Mont dans le Boulonnais. En « soutien au peuple ukrainien »,Éric Édouard a fait déployer une banderole sur le fronton de l’hôtel de ville avant de faire jouer l’hymne de l’Ukraine lors de la cérémonie du 8 mai. D’autres communes ont vu fleurir des drapeaux ukrainiens sur les bâtiments des mairies, mais pas à Grenay ou à Saint-Etienne-au-Mont. « Nous avons préféré y mettre le drapeau de la Paix. Cela a plus de sens à mes yeux », souligne Christian Champiré, le maire PCF de Grenay. Quant à Brigitte Passebosc, elle ne voit pas pourquoi elle aurait sorti un drapeau ukrainien alors qu’elle ne l’a pas fait pour d’autres nationalités, des Afghans aux Irakiens, contraints eux aussi à l’exil.
La faute aux médias ?
A la question de savoir la raison pour laquelle une telle empathie ne s’est guère manifestée à l’endroit des populations du Donbass bombardées par l’armée ukrainienne et ses supplétifs nazis du bataillon Azov depuis 2014, Éric Édouard plaide l’ignorance : « On a découvert ce qui se passait là-bas lors de l’intervention russe en Ukraine qui a été très médiatisée. Avant les journaux ne parlaient pas ou peu de ce conflit. » Même son de cloche du côté de Julien Dagbert. Il dit ne pas avoir euconnaissance de la guerre civile qui ravageait l’est de l’Ukraine depuis huit ans déjà. Ici, le massacre de militants progressistes à la Maison des syndicats d’Odessa en mai 2014 ou encore la réhabilitation de collaborateurs des nazis comme Bandera élevé au rang de « héros national » par le régime de Kiev, n’ont pas plus suscité de réactions outragées.
« Les bons et les mauvais migrants » ?
D’aucuns se sont étonnés de cette compassion à géométrie variable. « Une dame m’a interpellé sur le sujet. Elle m’a dit que c’était bien ce que nous faisions pour l’Ukraine. Mais pour les pays en sous-développement en Afrique, vous faites quoi ? m’a-t-elle demandé. Ça m’a bousculé »,reconnaît Julien Dagbert avant d’admettre qu’ « il faut parfois des images chocs pour faire réagir les gens alors que la misère est présente partout. On a besoin de plus de solidarité. Il faut interroger tout le système ». « Il y a les bons et les mauvais migrants »,s’indigne Brigitte Passebosc qui assure des accueils d’urgence pour les réfugiés de ce qu’on appelait jadis le Tiers-Monde, échoués sur les plages de sa commune. « Les services de l’État nous ont sollicités à maintes reprises par mail pour savoir si nous étions en mesure d’accueillir des Ukrainiens. Ils n’ont pas fait preuve de la même insistance pour les autres », fait mine de s’étonner Christian Champiré. Un « deux poids, deux mesures » qui n’épargne pas la population d’une façon générale. « Dans notre commune, des gens votent pour le Rassemblement national. Aider les réfugiés de Calais n’est pas très populaire à leurs yeux. Ceux qui se manifestent en faveur de l’Ukraine, ne le feront peut-être pas pour les populations d’Asie ou d’Afrique noire », avance un élu de l’ouest du Bassin minier sous couvert d’anonymat.