Les fameuses gaufres Lekorna vendues au magasin Leclerc de Przemyśl. Crédit photo: Virginie Menvielle

L’économie polonaise a besoin de l’Ukraine

par Virginie Menvielle
Publié le 7 octobre 2022 à 11:35 Mise à jour le 5 octobre 2022

Comme dans toute l’Europe, la Pologne subit une inflation galopante, une des conséquences de la guerre en Ukraine. Mais les villes frontalières du pays semblent tirer, au moins en partie, leur épingle du jeu dans ce conflit.

Dire que la Pologne est dans une situation économique compliquée est un euphémisme. Alors qu’au premier trimestre 2022, avec 8,5 % la croissance en Pologne atteignait des sommets, les conséquences de la guerre en Ukraine se font sentir. L’Office de statistique polonais annonce une baisse du PIB (produit intérieur brut) de la Pologne de 2,3 %, ce qui la classe loin derrière d’autres pays européens. Et pour cause, avec 1,2 million d’Ukrainiens qui séjournent sur son territoire, la Pologne est le pays d’Europe qui accueille le plus de réfugiés. Or, cela contraint le gouvernement à augmenter les dépenses pour les assister. Selon des premières estimations, l’État investit 10 milliards de złotys, soit 2,2 milliards d’euros par an. La situation est d’autant plus tendue que la Pologne fonde une partie de son économie sur ses liens avec l’Ukraine.

Vente en hausse des produits ukrainiens

Dans les villes frontalières, les échanges commerciaux entre les deux pays sont essentiels. Depuis le début de la guerre, la demande en produits ukrainiens a augmenté dans ces villes. « Sur l’autoroute qui mène à la frontière allemande, il y a beaucoup plus de camions ukrainiens qu’avant. Et c’est même plus facile parce que l’Union européenne a assoupli les règles permettant de faire venir des produits », précise la gérante du Leclerc de Przemyśl. Agneskà explique vendre encore plus de biscuits qui arrivent directement de Kharkiv. Elle raconte : « la ville est bombardée mais les camions eux partent toujours, j’ai toujours des livraisons. Et je fais tout ce que je peux pour maintenir le lien, c’est aussi une manière de les aider.  » Les biscuits dont on parle sont ceux de la Biscuit-Chocolate créée en 1896 et installée depuis 1935 à Kharkiv. La direction explique que malgré le danger, ses deux usines continuent à travailler. L’usine de gaufres Lekorna, basée à 50 km à l’ouest de Kharkiv, a fait le même choix. Michael Vorylin, l’un de ses dirigeants, explique : « Deux camions par mois partent pour la Pologne  ». C’est d’ailleurs l’un des rares pays pour lequel Michael Vorylin note une légère augmentation de la demande. Partout ailleurs, l’entreprise fait face à une baisse de son activité. « Notre production a baissé de 25, 30 % en raison des millions d’Ukrainiens qui ont fui le pays et des échanges commerciaux qui ne se font plus avec la Russie et la Biélorussie  ». Le directeur des exportations de la bière Obolon, fabriquée à Kyiv, fait le même constat : « Les demandes en Pologne ont augmenté de 30 % ». Derrière cet engouement pour les produits ukrainiens, deux raisons : la diaspora ukrainienne qui se compte en millions et la présence de nombreux bénévoles d’ONG (organisations non gouvernementales) qui veulent consommer « ukrainien ». Dans le magasin Leclerc de Przesmyśl, on trouve toute une gamme de produits : la bière Obolon, les biscuits Chocolate-biscuit, les gaufres Lekorna, mais aussi du vin, de l’huile, des jouets de Noël. Le supermarché n’est pas le seul à faire le plein de produits made in Ukraine. La gérante explique que dans la capitale, à Warsow, d’autres magasins se mettent également aux produits ukrainiens. «  La différence avec nous, insiste Agneskà, c’est qu’on le faisait déjà avant. Nous sommes habitués à avoir une clientèle ukrainienne ».

« Je fais un meilleur chiffre d’affaires qu’avant la guerre »

Contrairement à ce qu’on pouvait croire vu de France, les Ukrainiens vivent depuis des décennies au milieu des Polonais. À Rzeszów, bien avant la guerre, la ville comptait déjà 20 000 Ukrainiens. Karolina Domacala, directrice de cabinet du maire de Rzeszów, indique : « Il y a beaucoup d’étudiants ici, beaucoup de personnes qui travaillent dans la construction…  » À Przesmyśl, Sonja, une jeune réfugiée ukrainienne étudie l’art. « Il s’agit d’une école pour la minorité ukrainienne  », soulignent Piotr et sa femme qui l’hébergent. Le couple explique qu’il existe une importante communauté ukrainienne dans leur ville, et ce bien avant la guerre. « Avant la Seconde Guerre Mondiale, on pouvait considérer qu’il y avait trois communautés, ici : les Polonais, les Ukrainiens, et les Juifs. » 2 millions d’Ukrainiens (sur 38 millions d’habitants) vivaient déjà en Pologne avant la guerre. Depuis l’invasion russe du 24 février, le nombre d’Ukrainiens présents dans les villes frontalières a explosé. Rzeszów et Przesmyśl concentrent à elles seules plus de 60 000 réfugiés, pour des villes qui comptent un peu moins de 194 000 habitants pour la première et 60 000 pour la seconde. Des chiffres confirmés par Witold Wołczyk, du cabinet du maire de Przesmyśl. «  Nous estimons que 1,2 million d’Ukrainiens sont passés par Przesmyśl à ce jour. Au plus fort de la crise, ils étaient 60 000 à y vivre. » La population de la ville a doublé entre février et mars dernier. En plus des dizaines de milliers d’ukrainiens qui affluent chaque jour, il y a les ONG de plus en plus nombreuses et donc autant de personnes qu’il faut loger, nourrir, qui consomment. Les deux villes voient donc leur économie se renforcer. « Je fais un meilleur chiffre d’affaires maintenant qu’avant la guerre », confie Agneskà, la gérante de l’hypermarché Leclerc à Przesmyśl.

Un vrai besoin de main d’œuvre ukrainienne

Tous les réfugiés ukrainiens ne font pas que passer. Ils sont nombreux à s’installer dans les deux villes. Grâce à Agneskà, Micka et Vodia, 54 et 63 ans, ont trouvé du travail. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir été embauchés par la gérante. Elle assure avoir besoin de cette main d’œuvre supplémentaire pour faire face au surcroît d’activité. Le gouvernement polonais indique qu’environ 300 000 réfugiés ont trouvé un emploi depuis le 24 février 2022. Pas étonnant, la Pologne souffre d’un véritable manque de main d’œuvre, ce qui freine l’activité des entreprises. « La Pologne et l’Ukraine doivent vraiment travailler ensemble de manière durable », confie Agneskà. Karolina Domacala, à la mairie de Rzeszów, confie : « On doit trouver un moyen d’ intégrer durablement les Ukrainiens à notre ville  » Elle ajoute en prononçant une phrase pas forcément politiquement correcte, mais qui illustre bien le besoin criant présent à Rzeszów comme dans tant d’autres villes polonaises. « C’est bon pour nous d’avoir ces réfugiés ukrainiens, parce qu’ils vivent ici, travaillent ici et permettent ainsi à notre ville de grandir.  »