© Marie -Lan Nguyen Wikimedia Commons CC-BY 2.5
Sondage exclusif Ifop-Liberté

80 % des 18-20 ans prêts à quitter les Hauts-de-France !

Publié le 3 mars 2023 à 17:31 Mise à jour le 10 mars 2023

Mais que vont donc faire des jeunes de 18 ou 20 ans dans des manifestations contre la réforme des retraites initiée par Emmanuel Macron ? Comment voient-ils leur avenir ? Comment vivent-ils leur région des Hauts-de-France ? Ces questions leur ont été posées à la demande de Liberté Hebdo par l’institut de sondage et d’enquête Ifop. Son directeur Frédéric Dabi, qui a piloté l’étude, commente ci-dessous les résultats.

Liberté Hebdo : 75 % des jeunes de 18 à 30 ans se disent prêts à quitter la région des Hauts-de- France (HdF), un chiffre qui culmine à 80 % pour les 18-20 ans. Comment expliquer ce phénomène ? Quel est le profil typique du candidat au départ et quelles sont ses principales motivations ? Frédéric DABI : En premier lieu, la jeune génération est toujours traditionnellement la plus encline à se projeter hors de sa région d’origine. En outre, s’agissant d’une question d’intentionnalité, il convient de regarder la part des jeunes exprimant une envie catégorique de partir. Et en l’espèce, moins d’un tiers se déclare « certain » de quitter les Hauts-de-France. Enfin, et plus sur le plan des motivations au départ, celles-ci s’avèrent diffuses et éclatées entre déclin perçu de la région, motivation familiale et difficulté à trouver un emploi voire insécurité. L’absence dans cette enquête d’une raison centrale et essentielle qui motiverait les velléités de mobilité, à la différence d’autres territoires, est à noter.

La disposition à quitter les Hauts-de-France
Le coup de tonnerre : 80 % des 18-20 ans et 75 % des 18 à 30 ans sont prêts à partir.
C’est coup de tonnerre dans de cette enquête. Les jeunes aiment leur région et pourtant ils sont très majoritairement prêts à la quitter. On comprend que les plus jeunes (18-20) aient la bougeotte et le désir de voir le monde de plus près. En revanche quand les 28-30 leur emboîtent le pas, on s’interroge. Ce désir est trans-couches sociales. Il touche les catégories dites supérieures (81 %) aussi bien que les couches populaires (77 %) : les plus aisés (salaires supérieurs à 2 500 euros) que les plus pauvres (moins de 900 euros) toutes deux à 81 %, le plus haut score. Que cache cette aspiration ? La volonté d’aller plus loin pour les premiers ? Celle de sortir du marasme pour les seconds ? Nous avons tenté de le comprendre en leur demandant ce qui les ferait quitter les Hauts-de-France.
© Ifop-Liberté

LH : S’agissant de la confiance que les jeunes des Hauts-de-France ont en l’avenir, on constate que, si 89 % des catégories les plus aisées estiment qu’ils vivront mieux demain qu’aujourd’hui, ils ne sont que 47 % à le penser parmi les titulaires d’un CAP ou d’un BEP, c’est un écart considérable, est-il habituel dans les autres régions ? Quels sont les autres critères distinctifs sur cette question ? FD : La projection sur ce que sera son niveau de vie à l’avenir constitue une des plus fortes inquiétudes observées auprès des Français, à l’exception des plus jeunes, quelle que soit la région considérée. C’est le cas des Hauts-de- France dans lesquels 60 % des 18-30 ans pronostiquent qu’ils vivront mieux dans dix ans. Pour autant, cette question génère des clivages en matière de diplômes comme vous le faites remarquer mais également sociaux avec une vingtaine de points d’écart entre les jeunes cadres et les jeunes ouvriers. De même, signe que cette jeunesse des Hauts-de-France n’est pas un bloc monolithique, les moins de 20 ans font part d’une projection nettement plus optimiste que les 28-30 ans, davantage confrontés aux difficultés du monde du travail. Enfin, il est frappant de constater un pronostic positif très en retrait s’agissant des jeunes du Pas-de-Calais : à peine un sur deux anticipent un meilleur niveau de vie dans dix ans. Il y a un paradoxe entre la satisfaction de vivre dans la région et le désir de la quitter.

C’est particulièrement vrai pour les catégories des faibles ou non diplômés (31 %), pour les plus pauvres. Pour ces couches sociales non qualifiées, les plus soumises au ravage du chômage, l’espoir pourrait être dans un ailleurs. C’est dans la Somme que ces caractéristiques sont les plus marquées (30 %). (*) Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner deux réponses.
© Ifop-Liberté

LH : Les habitants des différentes villes et départements des Hauts-de-France aiment leur région, comment percevez-vous cet attachement, lesquels y sont le plus sensibles ? FD : L’attachement à la région des Hauts-de-France est réel et frappe par son caractère massif, c’est-à-dire par le fait qu’il est partagé avec la même intensité dans tous les segments de la jeunesse. Cet attachement se mesure à l’aune de la forte satisfaction (supérieure à trois quarts) exprimée par les interviewés à vivre, étudier ou travailler dans les Hauts-de-France. Plus spectaculaire encore, en dépit même de la récence de la création de cette région regroupant Nord-Pas- de-Calais et Picardie, l’identité Hauts-de-France surclasse de 40 points l’identité départementale ou communale.

1) Sur les possibilités d’étudier : Les conditions d’études sont considérées comme bonnes pour 82 % des jeunes concernés par l’étude. Le Nord est le département le plus plébiscité avec 87 % de satisfaits. Par contre les jeunes des communes rurales ne le sont qu’à 75 %. L’Aisne est le plus mal coté puisque que plus d’un jeune sur trois se déclare insatisfait des conditions d’études.
2) Sur les possibilités de pratiquer le sport : 82 % sont satisfaits. Mais quand le coût des pratiques s’en mêle, on retombe à 75 % de satisfaction pour les couches de population ayant des revenus entre 900 et 1 300 euros. 3) Sur les possibilités de pratiquer ou d’accéder à des évènements culturels : 73 % se disent satisfaits sauf dans l’Oise où le nombre des insatisfaits atteint 40 %.
4) Sur l’organisation des transports en commun : Si au global on atteint un taux de satisfaction de 71 %, rien ne va plus du côté de l’Oise et pour les communes rurales où l’insatisfaction atteint respectivement 42 et 46 %.
5) Sur les possibilités de trouver un emploi : Pour les diplômés du supérieur, ça baigne (le taux de satisfaction atteint 76 %). En revanche ce taux chute à 60 % pour les non diplômés et même à 58% dans l’Aisne et globalement à 61 % pour l’ensemble des Picards.
6) Sur le cadre de vie (climat et qualité de vie) : La moyenne est de 67 % de satisfaits, ce qui marque une légère baisse générale par rapport aux chapitres précédents. Le meilleur score s’écrit dans l’Aisne (78 %) et dans les villes moyennes de 20 000 habitants et plus. Le Nord ferme la marche des satisfaits de ce chapitre (64 %).
7) Appréciation de la politique menée en faveur de la jeunesse : Là encore pas de score au sommet. Le taux de satisfaction général est cependant de 66 %. Pour les 18-20 le chiffre passe à 60 %. Ceux disposant d’un diplôme du supérieur sont les plus satisfaits (78 %) ce qui parait logique compte tenu d’une situation a priori positive. En revanche pour les ouvriers (62 %), les sans diplôme (52 %), les jeunes des familles à revenus modestes (57 %), la satisfaction chute. Une nouvelle fois l’Aisne affiche le taux d’insatisfaction le plus élevé avec 48 %.
8) Appréciation de la sécurité des personnes et des biens : Hélas rien de nouveau, les couches populaires cumulent insécurité sociale et insécurité civile. Le taux d’insatisfaction y atteint 41 %. Alors que les catégories sont satisfaites à 82 % en matière de sécurité. C’est dans l’Oise que le sentiment d’insécurité est le plus vif.
9) Appréciation sur le dynamisme économique : Si la satisfaction atteint 63 % dans le Nord justifiant sa place de département moteur, il tombe à 41 % dans l’Aisne qui souffre du syndrome du déclin. Les communes rurales le partagent (49 %).
© Ifop-Liberté

LH : La place de la famille joue un rôle prépondérant dans cet attachement et dans le refus de partir, alors que c’est une valeur que l’on nous présente souvent comme désuète dans le monde moderne. Comment l’expliquez-vous ? FD : En effet, la présence de sa famille constitue pour deux-tiers des jeunes la raison principale expliquant leur souhait de demeurer dans les Hauts-de-France. Loin d’incarner une valeur dépassée, la famille représente pour l’écrasante part de la jeunesse la valeur cardinale. Dans la dernière enquête « Nouvelle Vague [1] » de l’Ifop menée en 2021, le terme famille est le terme préféré par les moins de 30 ans. Et sans surprise, la période du Covid-19 a enraciné la vision du cercle familial comme refuge et protection face à un environnement extérieur difficile, du moins incertain.

Satisfaction globale de vivre actuellement dans les Hauts-de-France même s’ils envisagent de les quitter
Les plus jeunes sont ceux qui aiment le plus les Hauts-de France et les départements où ils vivent. (82 % au global et 87 % pour les 18-20 ans). Les jeunes du Nord-Pas-de-Calais sont les plus attachés à leurs territoires (83%). Les jeunes de l’Oise virent en tête (85 %). On va le voir, seules les difficultés de la vie réduisent cet enthousiasme généralisé comme l’indiquent les sous catégories suivantes.
Côté travail On quitte la stratosphère des 82 % de satisfaits pour tomber à 75 %, ce qui reste cependant très positif. Au sein de ces 75 %, les plus satisfaits sont les catégories dites supérieures (hauts diplômes, bons salaires) leur taux de satisfaction atteint 86 %. En revanche les pourcentages chutent pour les ouvriers (69 %), les populations faiblement diplômées (63 %).
© Ifop-Liberté
La famille, un point d’ancrage puissant (57 %)
La famille même pour ceux qui ont 25 ans et plus reste le cadre protecteur. C’est particulièrement vrai pour les plus précaires. 66 % pour les sans diplôme. Cet ancrage sur la faille est très fort dans les classes moyennes où la crainte du déclassement fait son chemin, comme dans celui des familles modestes. C’est en Picardie que la famille compte le plus (56 %), avec une pointe dans l’Aisne (58 %). Les jeunes les plus diplômés, forts de leurs bagages universitaires, sont les moins enclins à se replier sur la famille. On le voit au delà de l’affectif, les inégalités sociales sont flagrantes. (*) Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner deux réponses.
© Ifop-Liberté

LH : Quelles raisons peuvent pousser les jeunes à rester vivre dans les HdF et quel rôle le politique peut-il jouer selon vous pour inverser la tendance des jeunes à vouloir quitter le territoire ? FD : Au-delà des motivations à rester dans sa région liées à la présence du cercle familial et amical, le politique a également un rôle à jouer. Dans ce cadre, les attentes de la jeunesse à l’égard du personnel politique sont claires : respect des promesses, parler-vrai, capacité à transformer leur quotidien et à faire partager une vision sur l’avenir du territoire. Le respect de ces conditions ne peut que favoriser un climat de confiance propice à faire demeurer cette jeunesse dans les Hauts-de-France.

Lire aussi : « Comment retenir les jeunes des Hauts-de-France : réponses »

LH : On constate une grande présence des jeunes dans les manifestations actuelles contre la réforme des retraites. Une question qui logiquement ne devrait pas préoccuper outre mesure les 18-20 ans. Comment interprétez-vous ce phénomène ? FD : La présence de jeunes lors des différentes journées de manifestations a été importante sans pour autant être massive comme lors du mouvement contre le CPE [contrat première embauche, ndlr] en 2006. En outre, l’échec de la manifestation du 21 janvier organisée par LFI (moins de 15 000 participants) a été réel. Néanmoins, longtemps cantonnée aux préoccupations des plus de 50 ans en phase de préparation de leur retraite puis des quadragénaires, la retraite tend à devenir un enjeu transgénérationnel. Dans nos enquêtes qualitatives, il est désormais courant d’entendre de jeunes salariés se projeter dans l’après travail. Cela tient principalement à la progression de l’espérance de vie qui fait désormais de la retraite un temps à part entière à préparer en amont. Il convient également de ne pas négliger une forme de continuité entre le temps de la vie professionnelle et celui de la retraite. Avec la croyance partagée par tous, y compris les jeunes générations, que les inégalités professionnelles se « payeront cash » lors de la retraite, à travers les pensions.

64% des jeunes sont satisfaits de leur place dans la société mais...
Cette large majorité masque des disparités. 71% des 18-20 sont bien dans leurs baskets. C’est moins vrai pour les 28 à 30. Ils ne sont que 56% à être satisfaits. La vie a déjà égratigné leur optimisme. Les jeunes les moins diplômés sont aussi les moins satisfaits (51 %) . Quand on pose la question : quel est votre état d’esprit face à la société, une insatisfaction certaine apparaît pour 44% des sondés. Ils se partagent entre les résignés (21 %) et les révoltés (23 %). Le plus grand nombre de ces deux groupes se trouve au sein de la population à faibles revenus et dans celle des titulaires d’un CAP ou d’un BEP. La satisfaction actuelle des jeunes marque une régression par rapport à l’avant COVID et l’avant reforme des retraites.
© Ifop-Liberté
Une majorité des 18-30 ans pensent vivre mieux dans les dix ans avenir, mais...
L’espoir fait vivre, aussi sont-ils 60 % à penser que ça ira mieux demain et 40 % qui ne le pensent pas, ce qui pose problème quand il s’agit de jeunes. Les plus sceptiques sont les jeunes issus des couches intermédiaires c’est-à-dire les couches moyennes (52 % d’avis positifs). Ces dernières ont vu leurs situations décliner, les jeunes en ont été les spectateurs. Le Pas-de-Calais est le plus pessimiste. Les jeunes des couches supérieures sont les plus optimistes (76 %). On le constate une nouvelle fois un fossé se creuse en les couches sociales. Chez les jeunes apparaît le sentiment que les sorts sont figés. Cette situation peut-elle être supportable ?
© Ifop-Liberté

Frédéric Dabi est directeur général Ifop-Opinion.

Notes :

[1Série d’enquêtes menées tous les dix ans par l’Ifop depuis 1957 afin de suivre les opinions, attitudes et comportements des 18-30 ans.