80 % des 18-20 ans prêts à quitter les Hauts-de-France !
Publié le 3 mars 2023 à 17:31 Mise à jour le 10 mars 2023
Mais que vont donc faire des jeunes de 18 ou 20 ans dans des manifestations contre la réforme des retraites initiée par Emmanuel Macron ? Comment voient-ils leur avenir ? Comment vivent-ils leur région des Hauts-de-France ? Ces questions leur ont été posées à la demande de Liberté Hebdo par l’institut de sondage et d’enquête Ifop. Son directeur Frédéric Dabi, qui a piloté l’étude, commente ci-dessous les résultats.
Liberté Hebdo : 75 % des jeunes de 18 à 30 ans se disent prêts à quitter la région des Hauts-de- France (HdF), un chiffre qui culmine à 80 % pour les 18-20 ans. Comment expliquer ce phénomène ? Quel est le profil typique du candidat au départ et quelles sont ses principales motivations ?Frédéric DABI : En premier lieu, la jeune génération est toujours traditionnellement la plus encline à se projeter hors de sa région d’origine. En outre, s’agissant d’une question d’intentionnalité, il convient de regarder la part des jeunes exprimant une envie catégorique de partir. Et en l’espèce, moins d’un tiers se déclare « certain » de quitter les Hauts-de-France. Enfin, et plus sur le plan des motivations au départ, celles-ci s’avèrent diffuses et éclatées entre déclin perçu de la région, motivation familiale et difficulté à trouver un emploi voire insécurité. L’absence dans cette enquête d’une raison centrale et essentielle qui motiverait les velléités de mobilité, à la différence d’autres territoires, est à noter.
LH : S’agissant de la confiance que les jeunes des Hauts-de-France ont en l’avenir, on constate que, si 89 % des catégories les plus aisées estiment qu’ils vivront mieux demain qu’aujourd’hui, ils ne sont que 47 % à le penser parmi les titulaires d’un CAP ou d’un BEP, c’est un écart considérable, est-il habituel dans les autres régions ? Quels sont les autres critères distinctifs sur cette question ?FD : La projection sur ce que sera son niveau de vie à l’avenir constitue une des plus fortes inquiétudes observées auprès des Français, à l’exception des plus jeunes, quelle que soit la région considérée. C’est le cas des Hauts-de- France dans lesquels 60 % des 18-30 ans pronostiquent qu’ils vivront mieux dans dix ans. Pour autant, cette question génère des clivages en matière de diplômes comme vous le faites remarquer mais également sociaux avec une vingtaine de points d’écart entre les jeunes cadres et les jeunes ouvriers. De même, signe que cette jeunesse des Hauts-de-France n’est pas un bloc monolithique, les moins de 20 ans font part d’une projection nettement plus optimiste que les 28-30 ans, davantage confrontés aux difficultés du monde du travail. Enfin, il est frappant de constater un pronostic positif très en retrait s’agissant des jeunes du Pas-de-Calais : à peine un sur deux anticipent un meilleur niveau de vie dans dix ans. Il y a un paradoxe entre la satisfaction de vivre dans la région et le désir de la quitter.
LH : Les habitants des différentes villes et départements des Hauts-de-France aiment leur région, comment percevez-vous cet attachement, lesquels y sont le plus sensibles ?FD : L’attachement à la région des Hauts-de-France est réel et frappe par son caractère massif, c’est-à-dire par le fait qu’il est partagé avec la même intensité dans tous les segments de la jeunesse. Cet attachement se mesure à l’aune de la forte satisfaction (supérieure à trois quarts) exprimée par les interviewés à vivre, étudier ou travailler dans les Hauts-de-France. Plus spectaculaire encore, en dépit même de la récence de la création de cette région regroupant Nord-Pas- de-Calais et Picardie, l’identité Hauts-de-France surclasse de 40 points l’identité départementale ou communale.
LH : La place de la famille joue un rôle prépondérant dans cet attachement et dans le refus de partir, alors que c’est une valeur que l’on nous présente souvent comme désuète dans le monde moderne. Comment l’expliquez-vous ? FD : En effet, la présence de sa famille constitue pour deux-tiers des jeunes la raison principale expliquant leur souhait de demeurer dans les Hauts-de-France. Loin d’incarner une valeur dépassée, la famille représente pour l’écrasante part de la jeunesse la valeur cardinale. Dans la dernière enquête « Nouvelle Vague [1] » de l’Ifop menée en 2021, le terme famille est le terme préféré par les moins de 30 ans. Et sans surprise, la période du Covid-19 a enraciné la vision du cercle familial comme refuge et protection face à un environnement extérieur difficile, du moins incertain.
LH : Quelles raisons peuvent pousser les jeunes à rester vivre dans les HdF et quel rôle le politique peut-il jouer selon vous pour inverser la tendance des jeunes à vouloir quitter le territoire ?FD : Au-delà des motivations à rester dans sa région liées à la présence du cercle familial et amical, le politique a également un rôle à jouer. Dans ce cadre, les attentes de la jeunesse à l’égard du personnel politique sont claires : respect des promesses, parler-vrai, capacité à transformer leur quotidien et à faire partager une vision sur l’avenir du territoire. Le respect de ces conditions ne peut que favoriser un climat de confiance propice à faire demeurer cette jeunesse dans les Hauts-de-France.
LH : On constate une grande présence des jeunes dans les manifestations actuelles contre la réforme des retraites. Une question qui logiquement ne devrait pas préoccuper outre mesure les 18-20 ans. Comment interprétez-vous ce phénomène ?FD : La présence de jeunes lors des différentes journées de manifestations a été importante sans pour autant être massive comme lors du mouvement contre le CPE [contrat première embauche, ndlr] en 2006. En outre, l’échec de la manifestation du 21 janvier organisée par LFI (moins de 15 000 participants) a été réel. Néanmoins, longtemps cantonnée aux préoccupations des plus de 50 ans en phase de préparation de leur retraite puis des quadragénaires, la retraite tend à devenir un enjeu transgénérationnel. Dans nos enquêtes qualitatives, il est désormais courant d’entendre de jeunes salariés se projeter dans l’après travail. Cela tient principalement à la progression de l’espérance de vie qui fait désormais de la retraite un temps à part entière à préparer en amont. Il convient également de ne pas négliger une forme de continuité entre le temps de la vie professionnelle et celui de la retraite. Avec la croyance partagée par tous, y compris les jeunes générations, que les inégalités professionnelles se « payeront cash » lors de la retraite, à travers les pensions.
Frédéric Dabi est directeur général Ifop-Opinion.
Notes :
[1] Série d’enquêtes menées tous les dix ans par l’Ifop depuis 1957 afin de suivre les opinions, attitudes et comportements des 18-30 ans.